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TÉMOIGNAGE et TÉMOIN : 1 Rois 18 et 19
par André Gibert
ME 1955 p. 225
Le chapitre 18 du premier livre des Rois montre Élie témoignant avec puissance au milieu d’Israël, devant Achab et devant le peuple, des droits de l’Éternel oubliés ou méprisés. L’idolâtrie s’était introduite par la faute des rois, le peuple suivait, et même ceux qui, comme Abdias, craignaient l’Éternel servaient le roi impie ou bien se cachaient, inconnus d’Élie lui-même pour la plupart. Élie, fidèle messager de Dieu, avait dit à Achab, qu’il n’y aurait, pendant des années, ni pluie ni rosée sinon à sa parole. Au moment voulu par l’Éternel, il reparaît, avec de sérieuses paroles d’avertissement pour le peuple, et il est le moyen par lequel l’Éternel déploie sa puissance puis répand la bénédiction quand le cœur de ce peuple a été «ramené»; En ce jour, peut dire Élie, il sera «connu que toi tu es Dieu en Israël, et que moi je suis ton serviteur, et que c’est par ta Parole que j’ai fait ces choses».
En même temps, et du fait même qu’il met en avant la Parole de l’Éternel en gouvernement, Élie a le privilège de témoigner de la valeur de cette Parole comme promesse en grâce. Il proclame le maintien, selon cette Parole, de ce qui semblait entièrement détruit, savoir l’unité du peuple de l’Éternel. La division du royaume après Salomon, les luttes fratricides entre Juda et Israël, l’alliance coupable avec les idolâtres, par le mariage d’Achab avec Jésabel, exemple suivi ensuite par les rois de Juda (1 Rois 16:17; 2 Chr. 18:1; 21:6.), la plus grande confusion religieuse, le peuple boitant des deux côtés, tous ces éléments de désagrégation n’empêchaient pas les promesses faites jadis par l’Éternel de subsister. L’unité du peuple élu demeurait à ses yeux. De cette unité, Élie est seul à témoigner. Il le fait en parlant de «l’Éternel, Dieu d’Abraham, d’Isaac et d’Israël», devant l’autel fait de «douze pierres, selon le nombre des tribus des fils de Jacob, auquel vint la Parole de l’Éternel, disant: Israël sera ton nom» (18:31).
En vain Achab avait-il faussement accusé Élie de «troubler Israël». La vérité était qu’Élie seul se trouvait capable de discerner, au-dessus de l’état de trouble effrayant du peuple, l’unité mise en pièces par les hommes mais immuable dans la pensée et les desseins de Dieu. Seul il pouvait l’affirmer. Si grande que fût la ruine, il remontait à ce que Balaam avait été forcé d’exprimer autrefois face à un peuple qui déjà méritait d’être détruit, savoir le caractère unique de ce peuple, son prix et sa beauté pour Dieu, sa gloire future dans la perspective des pensées de Celui «qui n’est pas homme pour mentir, ni fils d’homme pour se repentir». La responsabilité d’Israël découlait de sa position: ce n’est pas en marchant bien qu’il mériterait d’être élu, il devait bien marcher parce qu’il était élu.
Or, et c’est un point que l’on ne saurait trop fortement souligner, si Élie a pu rendre un tel témoignage à la fois à la Parole de Dieu et à l’unité d’Israël, c’est parce qu’il avait, dans l’obéissance à cette Parole et dans une dépendance démontrée par sa prière instante (Jacques 5:17), pris une position de séparation absolue, se tenant «devant l’Éternel». Cette attitude condamnait la conduite du peuple et de son roi. Mais elle était la seule qui permit le témoignage, et, en particulier, le témoignage rendu à l’unité des douze tribus. Il ne peut dégager le caractère permanent du peuple élu que parce qu’il n’est pas mêlé lui-même à la confusion. Non pas qu’il se séparât d’Israël, bien au contraire, mais il se séparait de l’iniquité qui prévalait en Israël.
Et c’est lui qui était accusé de troubler la nation! Dans tous les temps la même accusation a été portée contre ceux qui ont compris que se séparer était nécessaire pour rendre témoignage de la pensée de Dieu. (Il est à peine besoin de faire remarquer qu’autant une telle séparation est nécessaire, autant sont déplorables et humiliantes les divisions produites par l’action de la chair parmi ceux que le Seigneur appelle à sortir «vers Lui, hors du camp». Il y a là deux choses toutes différentes.) Leur position met en relief la confusion, et on leur impute de l’avoir causée! Ne nous étonnons pas s’il en est ainsi particulièrement de nos jours. La chrétienté dont nous faisons tous partie montre, sans qu’on puisse parler de la Babylone encore future, les traits d’une Babel (confusion) aux dénominations variées. L’alliance du nom chrétien avec les idoles de ce monde est visible de toutes parts, avec des degrés qui vont de l’adhésion empressée à l’indifférence. Nous avons tous part à cette confusion, par notre manque d’attachement à Christ. Mais que quelques-uns prennent à cœur les droits du Seigneur et la vérité concernant l’Assemblée de Dieu, et qu’au sein de cette Babel dont ils ne peuvent sortir, ils se séparent des systèmes du monde christianisé et affirment l’unité du corps, ils sont pris à partie. Vous êtes des chimériques, leur dit-on, et des orgueilleux; vous disloquez nos organisations, mêlez-vous à elles, choisissez celle que vous voudrez, fortifiez-la… Vous nous troublez.
Ne craignons pas ces propos; Soyons bien persuadés que, comme Élie seul sur le Carmel en présence de tout Israël, il appartient à ceux qui n’ont d’autre bannière que le nom de Jésus, de proclamer l’unité du corps de Christ. Qu’ils ne se laissent pas effrayer par l’accusation «d’avoir créé» une secte nouvelle. Séparation n’est point division. Élie, séparé, exprime la permanence d’un Israël indivisible; l’autel de douze pierres est son seul autel. Et aujourd’hui le solide fondement de Dieu demeure, avec son double sceau. Les deux faces de ce sceau sont inséparables. Comment dire avec tranquillité: «Le Seigneur connaît ceux qui sont siens», si l’on refuse d’obéir à l’injonction: «Qu’il se retire de l’iniquité, quiconque prononce le nom du Seigneur»?
Mais la réciproque est vraie, et tout aussi importante. Dire qu’on se retire de l’iniquité sans être pénétré du sentiment que le Seigneur connaît ceux qui sont siens expose à une séparation purement extérieure à laquelle l’état moral ne correspond pas. Nous courrons alors le danger de nous arrêter à nous-mêmes, de nous considérer nous-mêmes, de nous replier sur nous-mêmes. Ce danger est grand; il s’appelle orgueil spirituel, et il conduit à l’écroulement découragé. Élie — et pourtant quel serviteur il était! — n’y a pas échappé. La suite de son histoire nous est donnée au chapitre 19 comme une leçon nécessaire.
Après le magnifique témoignage rendu sur le mont Carmel, il pouvait penser que le retour du peuple et de son roi serait complet. Il n’en est rien. Jésabel reprend les rênes, menace de mort le prophète, et celui-ci «s’en alla pour sa vie». Il abandonne les lieux de sa mission, laisse vide la scène de son témoignage, s’en va «au désert». Craintif et découragé, il se montre, plus tristement encore, déçu et amer. Il porte accusation contre les fils d’Israël: «Ils ont abandonné ton alliance, renversé tes autels, tué tes prophètes par l’épée.» Il revendique la loi de l’Éternel dans le lieu même où elle avait été donnée, afin que ses jugements tombent sur Israël coupable de l’avoir violée. Sa douleur est profonde et sincère en pensant à ce peuple, mais elle se tourne en animosité.
Mais pourquoi donc fait-il requête contre Israël? D’abord parce qu’il est occupé de lui-même. «J’ai été très jaloux… je suis resté moi seul, et ils cherchent ma vie pour me l’ôter.» Un grand prophète tel que lui, et pas de résultat? Autant disparaître. «Prends mon âme car je ne suis pas meilleur que mes pères…»
Ensuite, parce qu’il perd de vue la puissance de Dieu agissant en grâce et ne connaît pas sa patience, qui est salut, il lui faut apprendre une leçon humiliante pour lui, mais merveilleuse. Mis à l’abri dans la caverne tandis que passent au dehors de terrifiantes manifestations de cette puissance divine de jugement qu’il appelait, il doit constater que l’Éternel n’est pas, pour le moment, dans ces choses. Le moment n’est pas venu de frapper les coupables. Mais c’est le moment de la «voix douce, subtile», de la grâce. Elle parle et opère. Elle opère en faveur d’Élie, certes, qui a été miraculeusement gardé et soutenu dans ce voyage à travers le désert comme Israël autrefois et comme lui-même l’avait été en Canaan dans les jours de famine; mais elle opère aussi en dehors de lui, dans ce peuple encore épargné.
Élie l’a-t-il vraiment compris? Hélas, «enveloppé de son manteau», debout près de l’entrée de la caverne, protestant de son caractère de prophète, il répète son accusation contre Israël: «Je suis resté moi seul, et ils cherchent ma vie pour me l’ôter…»
La réponse divine est aussi touchante que solennelle. Eh bien, le moment va venir du jugement que tu appelles; va, oins ceux qui l’exerceront. Mais toi qui t’estimes resté seul de sorte que toi retiré, il n’y aurait plus de témoin, tu déposeras ce manteau de prophète, tu seras mis de côté. Non point que le ministère prophétique se termine avec toi comme tu as pu le penser: «Tu oindras Élisée, fils de Shaphath, pour qu’il soit prophète à ta place»… Je ne me laisserai pas sans prophète. Et ce n’est pas tout; en ce moment même, alors que tu te dis le seul resté fidèle, «je me suis réservé sept mille hommes en Israël, tous les genoux qui n’ont point fléchi devant Baal et toutes les bouches qui ne l’ont pas baisé…» Élie avait pu les ignorer, drapé dans sa dignité réelle mais périlleuse, faute de débonnaireté et d’humilité de cœur. Il était le prophète justement séparé, mais en fait il a abandonné cette position dès qu’il a pensé et dit: «Je suis resté seul…»
Ces enseignements d’autrefois n’auraient-ils pas de voix pour nous? «Je suis resté seul… Nous sommes les seuls… Il n’y a plus de témoignage; nous partis, où seront les témoins?…» Que de fois ces mots se font ou du moins se laissent entendre! De chers chrétiens pieux, affligés par la ruine évidente, semblent prêts à se retirer au désert, comme s’ils reniaient le peuple de Dieu et comme s’ils pouvaient ne plus appartenir à la chrétienté. Ils se laisseraient gagner par le découragement et le communiqueraient aisément à d’autres. «Prends-nous Seigneur, nous ne sommes pas meilleurs que nos pères…» Avons-nous pu penser l’être jamais?
Non, quel que soit l’état des choses, le Seigneur ne se laisse et ne se laissera pas sans des cœurs fidèles. «Il connaît ceux qui sont siens.» Il sait, lui seul de façon sûre, à qui peut être donné le nom de «témoins» selon le caractère de Philadelphie, et devant qui la porte est ouverte. À nous de les rechercher, de les reconnaître, et de poursuivre avec eux la justice, la foi, l’amour, la paix.
À nous aussi de discerner, avec actions de grâces, la patience du Seigneur envers nous, envers son Église coupable et sur laquelle les jugements sont prononcés mais à laquelle Il parle encore, avec le son de la «voix douce et subtile». «Je te conseille… Je reprends et je châtie ceux que j’aime… Je me tiens à la porte et je frappe…» Ah! Certes, nous percevons déjà le souffle du vent impétueux, les proches éclats du tonnerre, le grondement de la terre qui tremble, l’ardeur du feu; Tout est proche. Mais «ce qui retient» est toujours là. L’effort de l’ennemi, si avancé que soit l’Esprit de l’Antichrist, n’empêche pas la voix du Saint Esprit parlant en grâce, faisant dire à l’épouse: «Viens», poussant quiconque entend à dire: «Viens», et appelant celui qui a soif à venir pour prendre gratuitement de l’eau de la vie. Rendons-nous assez grâces à Dieu de ce que l’évangile est répandu, de bien des manières?
Est-ce à dire que quelqu’un qui a compris que la place du fidèle est de «se tenir devant Dieu» puisse se mêler au monde christianisé, et quitter la position de séparation que lui assigne l’obéissance? En aucune manière. La grâce n’est jamais dissolution, ni mélange (2 Cor. 6:14-18). Elle n’excuse jamais le mal, et comment pactiserait-elle avec des enseignements portant atteinte à «la doctrine de Christ» (2 Jean)? Son terrain n’est point celui de la loi, mais il est celui de l’amour dans la vérité, seul véritable amour (1 Pierre 1:22). Le souci de la gloire de Dieu et l’amour des âmes vont ensemble. Ils supposent l’un et l’autre la mise de côté de nos propres droits.
Le vrai modèle, là comme toujours, est Celui qui ici-bas, a été aussi complètement séparé qu’on peut l’être d’un monde de péché, et qui en même temps était à ce point accessible à qui que ce fut, qu’on l’appelait l’ami des pécheurs. Il était à la fois identifié avec le peuple coupable, Lui le vrai Israël, et totalement isolé de lui moralement. Ses délices étaient de faire la volonté de Dieu, c’est pourquoi son chemin fut solitaire; mais elles étaient aussi dans «les saints et les excellents de la terre», ceux dans le cœur desquels la Parole germait. Il ne fût pas passé auprès des sept mille sans les voir et s’occuper d’eux. Puis, au terme d’un labeur sans défaillance, il a dû, avec plus de vérité qu’Élie, déclarer, devant l’endurcissement de son peuple, qu’il «avait travaillé en vain, consumé sa force pour le néant et en vain» (Ésaïe 49:4). Mais accuse-t-il comme le prophète découragé? Non point; il dit: «Toutefois mon œuvre est par-devers mon Dieu, mon jugement est par-devers l’Éternel.» Il avait devant lui le résultat futur de son œuvre dont nul fruit n’apparaissait encore, et Il voyait le jour où Il serait «donné pour être une lumière des nations, le salut de Dieu jusqu’au bout de la terre» (v. 6). En attendant, Il allait consommer cette œuvre en souffrant sur la croix pour ses ennemis.
«Que le Seigneur incline nos cœurs à l’amour de Dieu et à la patience de Christ.» Nous avons à cheminer entre ces écueils qui se nomment sectarisme et mondanité, étroitesse de cœur et compromis. Pour cheminer ainsi, il est nécessaire que l’état intérieur des témoins soit à la hauteur du témoignage auquel ils sont appelés.