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VOICI L’HOMME = ECCE HOMO

 

Fritz von Kietzell

 

Édition en langue française : 1973

 

Table des matières :

1     Avant-propos

2     De Béthanie à Gethsémané

3     Judas l’Iscariote, qui aussi le livra (Matt. 26:47-56 ; Marc 14:43-52 ; Luc 22:47-53)

4     Interrogatoire nocturne

5     Tu me renieras trois fois

6     L’opprobre des hommes et le méprisé du peuple

7     La fin du traître (Matt 27:3-10)

8     Pilate

9     Hérode

10      Barabbas ou Jésus ?

11      Voici l’homme !

12      Voici votre roi ! (Jean 19:6-16)

13      Hors du camp

14      « Crucifié en infirmité »

15      « Père, pardonne-leur » (Luc 23:34)

16      « Sauve-toi toi-même »

17      La conversion du brigand

18      Voilà ta mère (Jean 19:27)

19      « Voilà l’Agneau de Dieu ! »

20      « C’est accompli »

 

 

1                    Avant-propos

L’étude que nous publions aujourd’hui est la traduction, partiellement adaptée, d’un ouvrage de Fritz von Kietzell, intitulé « Der erfüllte Ausgang » (Beröa Verlag 1971, Zurich). Ses dix-neuf chapitres avaient paru dans le « Messager évangélique » des années 1969 et 1970. L’intérêt que cette étude avait rencontré alors nous a engagés à la publier sous forme de brochure.

 

2                    De Béthanie à Gethsémané

Parmi les scènes décrites dans la Parole de Dieu, il n’en est point de plus touchantes que celles qui nous occupent des souffrances et de la mort du Seigneur Jésus. Mais c’est une terre sainte que nous devons aborder les pieds déchaussés. D’autre part, nous avons peine à sonder les profondeurs de ce sujet, comme ce fut le cas des disciples. Lorsque le Seigneur leur annonça que toutes les choses écrites par les prophètes touchant le fils de l’homme allaient s’accomplir, « ils ne comprirent rien de ces choses ; et cette parole leur était cachée, et ils ne comprirent pas les choses qui étaient dites » (Luc 18:31, 34 ; Marc 9:32). Pourtant, avec quelle exactitude ne les leur avait-il pas communiquées ! « Le fils de l’homme sera livré aux principaux sacrificateurs et aux scribes ; et ils le condamneront à mort... et le fouetteront, et cracheront contre lui, et le feront mourir » (Marc 10:33, 34). Que cette description est saisissante en sa précision ! À trois reprises, il avait ainsi annoncé aux douze « sa mort qu’il allait accomplir à Jérusalem » (Luc 9:31).

Les chapitres 25 de Matthieu, 13 de Marc et 21 de Luc marquent la fin du ministère public du Seigneur et, dès les chapitres suivants, le Saint Esprit relate les souffrances qu’il endura durant la dernière période de sa vie terrestre(*). À l’heure où les principaux sacrificateurs et les anciens décident en grand secret de « se saisir de Jésus par ruse et de le faire mourir », le Seigneur, ayant « achevé tous ces discours », annonce une dernière fois aux disciples ce qui allait arriver : « Vous savez que la Pâque est dans deux jours, et le fils de l’homme est livré pour être crucifié » (Matt. 26:1 à 5, 14, 16 ; Marc 14:1, 2, 10, 11 ; Luc 22:1 à 6 ; Jean 11:45 à 57).

 

(*) L’évangile de Jean contient une période intermédiaire : la résurrection de Lazare et les circonstances qui s’y rattachent. Dans cet évangile, le ministère public du Seigneur prend fin au chapitre 10.

 

Comprirent-ils alors ces paroles ? Saisirent-ils clairement ce que leur Maître bien-aimé allait subir ? Leur comportement nous oblige à répondre négativement à ces questions. C’est une femme qui eut le privilège d’exprimer, à l’égard du Seigneur, les sentiments qui convenaient en de telles circonstances. Pour nous le révéler, le Saint Esprit nous ramène à une scène survenue lors du souper offert au Seigneur Jésus à Béthanie (Jean 12:1-8). Nous y voyons, pour la troisième fois, Marie aux pieds de Jésus — comme chaque fois que nous la trouvons en sa présence (Luc 10:39 ; Jean 11:32 ; 12:3) — expression des saintes affections qui remplissaient son cœur pour lui. Elle oint le Seigneur d’un « parfum de nard pur de grand prix » et lui essuie les pieds avec ses cheveux, la gloire de la femme. « Et la maison fut remplie de l’odeur du parfum ». Par cet acte unique, Marie exprimait à Jésus la profonde sympathie et la compréhension d’un cœur aimant. Quant aux disciples, ils le considéraient comme une « perte » (Matt. 26:8).

Marie avait, un jour, « choisi la bonne part » et écouté la parole du Seigneur. Elle était ainsi capable, plus que les disciples, de percevoir d’avance ce qui allait être la part de Celui qu’elle aimait ardemment. Elle discernait, plus clairement que tous les autres, les sombres nuages de haine qui s’amoncelaient, toujours plus menaçants, sur Sa tête. C’est pourquoi elle éprouvait le désir de lui témoigner sa sympathie et son affection. Mais que peut faire cette femme faible et, sans doute, pauvre ? Elle prend ce qu’elle a de plus précieux, brise le vase d’albâtre et en répand le parfum sur la tête et les pieds de Jésus, comme le récit nous en est donné en Matt. 26:6-13 et Marc 14:3-9. Elle lui rend ainsi l’hommage qui lui était dû comme roi d’Israël, serviteur de Dieu et Fils unique du Père, au moment où, par l’Esprit éternel, il allait s’offrir « lui-même à Dieu sans tache » (Héb. 9:14) (*).

 

(*) En Matthieu et Marc qui nous présentent Christ comme le Messie et le Prophète, respectivement, le parfum est répandu sur sa tête, tandis qu’en Jean, où Christ est révélé comme le Fils de Dieu, Marie oint ses pieds. Il est compréhensible que Luc ne contienne pas ce récit, car dans cet évangile, le Seigneur Jésus est présenté comme le fils de l’homme, homme abaissé et humilié.

 

« Cette femme, en répandant ce parfum sur mon corps, l’a fait pour ma sépulture » (Matt. 26:12) (*). Telle est la signification que le Seigneur donne lui-même à son acte, lorsqu’il s’interpose entre elle et les disciples qui la blâment. Il proclame solennellement que cet acte ne tomberait jamais dans l’oubli ; cela montre tout le prix qu’il y attachait. De même que Jonathan, poursuivant l’ennemi, avait goûté un peu de miel au bout de son bâton « et ses yeux furent éclaircis » (1 Sam. 14:27), de même et combien davantage ! notre bien-aimé Sauveur goûta en cette circonstance, un rafraîchissement qu’aucun homme — à l’exception cependant du brigand sur la croix — ne lui accorda plus durant les heures douloureuses qu’il allait traverser.

 

(*) En Marc, il est dit : « Elle a anticipé le moment d’oindre mon corps pour ma sépulture » (14:8). On sait que les autres femmes qui se rendaient au sépulcre du Seigneur dans cette intention, sont arrivées trop tard (Luc 24:1-3).

 

Le jour de la fête, « le premier jour des pains sans levain », arrive. Le soir étant venu, Jésus se met à table avec les douze pour célébrer la Pâque (Matt. 26:17-20 ; Marc 14:12-18 ; Luc 22:7-18). Il leur dit : « J’ai fort désiré de manger cette pâque avec vous, avant que je souffre ». Avant que le fils de l’homme, l’héritier de toutes choses, soit rejeté définitivement, avant que les vagues de la haine de l’homme s’abattent sur la tête du saint et du juste, avant que le vrai Agneau pascal donne sa vie et que son sang soit versé, le désir de son cœur est d’être réuni une fois encore avec le faible résidu de son peuple sur le terrain de l’ordonnance parfaite instituée par Dieu (Matt. 26:21-25, 31-35 ; Marc 14:18-21, 27-31 ; Luc 22:21-38 ; Jean 13:18-30, 36-38). Toutefois cette scène d’adieu si solennelle est assombrie par bien des sujets de tristesse. Ce n’est pas seulement Judas, le traître soudoyé par les principaux sacrificateurs, et qui, possédé tout entier par son sinistre dessein, s’enfonce dans la nuit pour l’accomplir. Ce sont aussi les disciples qui contestent entre eux « pour savoir lequel... serait estimé le plus grand ». C’est, enfin, Simon Pierre affirmant avec jactance qu’il est prêt à aller en prison et à la mort avec son Maître, alors qu’il devait le renier trois fois cette même nuit.

Bien qu’il ressentît tout cela infiniment plus que nous, le Seigneur ne recula pas. « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin » (Jean 13:1-17). Durant le souper, il leur montre, par le symbole du lavage des pieds, qu’il serait toujours prêt à secourir les siens par la puissance purificatrice de sa Parole. Après le repas, il leur confie un legs particulièrement précieux (Matt. 26:26-30 ; Marc 14:22-26 ; Luc 22:19, 20). Il savait combien nos cœurs  sont oublieux et combien cette scène si émouvante de ses souffrances et de sa mort, ne laisse, trop souvent hélas ! que des impressions fugitives dans notre esprit. C’est pourquoi il institua, à notre intention, son repas, la cène du Seigneur : le pain et le vin, son corps et son sang séparés ; son corps donné pour nous, son sang versé pour nous, symboles d’un Christ mort pour nous, d’un Christ qui a parfaitement glorifié le Père et satisfait à jamais le Dieu saint. « Faites ceci en mémoire de moi » (Luc 22:19). Ce vœu du Seigneur, qu’il confirma plus tard du haut des cieux (1 Cor. 11:24, 25), ne devrait-il pas trouver en nos cœurs à tous un écho plus chaleureux ?

Le chant d’une hymne s’élève, puis ils sortent dans la nuit (Matt. 26:30). « Il s’en alla, selon sa coutume, à la montagne des Oliviers » (Luc 22:39). Mais les paroles qu’il adresse cette fois aux disciples sont des paroles d’adieu. « Que votre cœur ne soit pas troublé, ni craintif » (Jean 14:1 et 27). Quelle sollicitude ! Il aurait eu bien des raisons de n’être préoccupé que de lui-même, et le voilà qui console, encourage et enseigne les onze. Il leur parle des « plusieurs demeures dans la maison de son Père » et du chemin qui y conduit (Jean 14). Ensuite il les entretient de la relation si tendre et si intime qui les unit eux, les sarments, à lui, le vrai cep (Jean 15). Mais ils poursuivent leur chemin dans la nuit, laissant loin derrière eux la sainte ville. Alors il leur annonce que les ombres de l’ancienne alliance vont disparaître pour eux et que va venir bientôt un autre Consolateur, l’Esprit Saint, qui les conduira « dans toute la vérité » et les introduira dans une relation nouvelle avec le Père (Jean 16). Puis, levant les yeux au ciel, il prononce la prière qui nous est rapportée en Jean 17. Il rend, en quelque sorte, au Père ceux qu’il lui avait donnés du monde, afin que le Père les garde jusqu’à la fin, au milieu du « présent siècle mauvais ». Il achève sa prière par cette déclaration — précieuse entre toutes et que lui seul, le Fils, avait le droit d’adresser à son Père : « Père, je veux, quant à ceux que tu m’as donnés, que là où moi je suis, ils y soient aussi avec moi, afin qu’ils voient ma gloire... » (Jean 17:24).

« Ayant dit ces choses, Jésus s’en alla avec ses disciples au-delà du torrent du Cédron, où était un jardin dans lequel il entra, lui et ses disciples » (Jean 18:1 ; Matt. 26:36-46 ; Marc 14:32-42 ; Luc 22:39-46). David, mille ans auparavant, montait par ce même chemin, c’est-à-dire la montée des Oliviers, rempli de tristesse en pensant à tout ce qu’il laissait derrière lui (2 Sam. 15:23-30). Mais si le roi David devait suivre un tel chemin, c’était comme châtiment de son propre péché, tandis que le Fils de David, notre Seigneur, s’y était engagé volontairement, afin de porter « l’iniquité de nous tous » (És. 53:6). Là, dans les ténèbres de « la nuit qu’il fut livré », en ce « lieu dont le nom était Gethsémané », il fut permis à Satan qui « s’était retiré d’avec lui pour un temps » (Luc 4:13), de s’approcher de lui une seconde et ultime fois. L’ombre de la croix se projetait déjà sur sa route et le Père lui présentait la coupe qu’il était venu boire ici-bas, la coupe amère du courroux de Dieu exerçant un juste jugement contre le péché. Devant lui se dressait la croix sur laquelle il allait, durant les trois heures ténébreuses, « porter nos péchés en son corps » (1 Pierre 2:24) et où lui, qui n’avait pas connu le péché, serait fait péché pour nous (2 Cor. 5:21). Comment son âme sainte n’aurait-elle pas été saisie d’effroi au moment où Satan plaçait devant lui les terreurs de cette « mort qu’il allait accomplir à Jérusalem » ?

Nous pouvons contempler là l’Homme Christ Jésus, dans toute la divine perfection de son obéissance. Plus il s’avançait dans le chemin où il était entré afin d’accomplir les conseils de Dieu, plus il éprouvait l’horreur de ce qui l’attendait et plus son cœur était « saisi d’effroi et fort angoissé » (Marc 14:33). Il dit aux disciples : « Mon âme est saisie de tristesse jusqu’à la mort ; demeurez ici et veillez avec moi » (Matt. 26:38). Il sollicitait leur « compassion » et leur « consolation » (Ps. 69:20), car il y avait droit, mais il connaissait l’amertume qui l’attendait. Sa force procédait uniquement d’en haut, d’auprès du Père.

Il pénètre dans la profondeur du jardin. Il prend tout d’abord avec lui ses disciples les plus intimes, Pierre, Jacques et Jean. Mais bientôt, il les quitte. « Il s’éloigna d’eux lui-même environ d’un jet de pierre » (Luc 22:41), et là, dans un isolement total, « s’étant mis à genoux », « il se jeta contre terre », et même « tomba sur sa face » (Marc 14:35 ; Matt. 26:39). Alors il offrit « avec de grands cris et avec larmes, des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort » (Héb. 5:7). Tout le long de son chemin — jusqu’aux trois heures sombres de la croix exclues — le ciel était ouvert sur lui « et les anges de Dieu montaient et descendaient sur le fils de l’homme » (Jean 1:52). Il en fut de même en cette circonstance solennelle : « Un ange du ciel lui apparut, le fortifiant » (Luc 22:43). N’oublions pas que c’était par amour pour nous qu’il était là « dans l’angoisse du combat », priant « plus instamment », au point que « sa sueur devint comme des grumeaux de sang découlant sur la terre » (Luc 22:44).

Mais la prière qu’il adresse à son Père est plus émouvante encore que cette scène elle-même. N’y avait-il point d’autre issue ? « Il priait que, s’il était possible, l’heure passât loin de lui » (Marc 14:35). Toutes choses n’étaient-elles pas possibles au Père ? « Abba, Père » — c’est la seule fois que nous entendons le Seigneur user de cette expression si intime — « Abba, Père, toutes choses te sont possibles ; fais passer cette coupe loin de moi » (Marc 14:36). « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi » (Matt. 26:39). Mais il savait, mieux que personne, que cela n’était justement pas possible au Père, s’il voulait sauver des pécheurs et accomplir ses conseils éternels. C’est pourquoi le Seigneur Jésus ajoute ces mots qui expriment son entière soumission : « Toutefois, non pas comme moi je veux, mais comme toi tu veux ». — « Mon Père, s’il n’est pas possible que ceci passe loin de moi, sans que je le boive, que ta volonté soit faite » (Matt. 26:39 et 42). En cette circonstance également, la seule où sa volonté différait apparemment de celle du Père, il se soumit entièrement, de sorte qu’il fut « exaucé à cause de sa piété » (Héb. 5:7). Il sort vainqueur de ce douloureux combat. Tandis que ses disciples sont « endormis de tristesse » (Luc 22:45), il se lève de sa prière et s’avance, dans une paix parfaite, pour boire jusqu’à la lie la coupe qu’il venait de recevoir de la main du Père.

 

3                    Judas l’Iscariote, qui aussi le livra (Matt. 26:47-56 ; Marc 14:43-52 ; Luc 22:47-53)

« Comme il parlait encore » — c’est par ces mots que les trois premiers évangiles commencent le récit des événements qui font l’objet de cette méditation. Alors que, dans sa grâce inlassable, le Seigneur était occupé des siens, celui qui devait le livrer, « Judas, l’un des douze », s’approchait dans les ténèbres.

Le Saint Esprit accorde, dans la Parole, une place toute spéciale à la trahison de Judas. Aucun autre moment de la vie du Seigneur ici-bas ne nous est rapporté avec autant de détails que cette nuit-là. Lorsqu’il veut la désigner en peu de mots, l’Esprit l’appelle « la nuit que le Seigneur fut livré » (1 Cor. 11:23). Chaque fois que le nom de Judas est mentionné dans les évangiles il est fait allusion à sa trahison: « Judas l’Iscariote, qui aussi le livra » (Matt. 10:4, etc.). Acte infâme ! — « Le fils de l’homme s’en va selon qu’il est écrit de lui ; mais malheur à cet homme par qui le fils de l’homme est livré ! Il eût été bon pour cet homme-là qu’il ne fût pas né » (Matt. 26:24).

Les hommes ont tenté d’analyser la personnalité de Judas, d’expliquer son état d’âme, ses mobiles et sa fin dramatique, sans y parvenir de manière satisfaisante. Mais pour celui qui a un « œil simple », tout cela est clair, quoique plein de sérieux avertissements. Judas offre le tableau de l’état d’abjection dans lequel l’homme peut tomber. Si l’Écriture ne contenait ce tableau, nous ignorerions quels extrêmes l’homme peut atteindre dans l’infamie. On peut avoir « prophétisé en son nom », « chassé des démons », « fait beaucoup de miracles » (et Judas doit l’avoir fait, autant que nous pouvons le savoir, puisqu’il était l’un des douze que Jésus avait envoyés guérir et prêcher, (Matt. 7:21 et suiv.). On peut avoir une « lampe », un témoignage extérieur, être de ceux qui ont « mangé et bu en sa présence » (Matt. 25:1 et suiv. ; Luc 13:25 et suiv.), être demeuré souvent assis à ses pieds — et pourtant rester dehors quand la porte sera fermée, et entendre l’effrayante déclaration : « Je ne vous ai jamais connus ; retirez-vous de moi... » On peut marcher avec « la lumière qui est venue dans ce monde », sans « venir à la lumière », parce qu’on « a mieux aimé les ténèbres que la lumière », que « les œuvres sont mauvaises » et que l’on craint qu’elles ne « soient reprises » (Jean 3:19-21).

Judas n’était pas « net » (Jean 13:11) ; son cœur, toujours plus envahi par l’amour de l’argent, n’avait jamais été brisé. Il était devenu un « voleur » (Jean 12:4-6) et avait été entraîné toujours plus loin sur cette pente glissante, jusqu’à ce que le diable lui mît au cœur la plus horrible trahison qu’un homme aura jamais commise ; jusqu’à ce que « Satan entrât en lui » et qu’il fût endurci sans retour (Matt. 26:15 ; Jean 13:2, 27 ; Luc 22:3). Les hommes ont pu se tromper sur l’état réel de son cœur, mais le Seigneur, lui, connaissait son disciple « dès le commencement » et avait dit de lui : « L’un d’entre vous est un diable » ; il était « le fils de perdition » (Jean 6:64, 70, 71 ; 17:12). Nous comprenons que le Seigneur Jésus « fut troublé dans son esprit », lorsque, réuni pour la dernière fois avec les douze, il dut leur annoncer solennellement : « En vérité, en vérité, je vous dis que l’un d’entre vous me livrera ».

Ainsi, celui qui « était compté parmi les apôtres et avait reçu en partage ce service », qui avait été avec eux « pendant tout le temps que le Seigneur Jésus entrait et sortait au milieu d’eux » (Actes 1:17-21), qui « mangeait le pain avec lui », dont « la main était à table avec lui » (Jean 13:18 ; Luc 22:21) — celui-là devint « le guide de ceux qui ont pris Jésus » (Actes 1:16). « Une grande foule avec des épées et des bâtons » s’en vient avec Judas qui « les précédait » (Matt. 26:47 ; Luc 22:47). Les « lanternes et les flambeaux » ne manquaient pas non plus (Jean 18:3), car le traître avait pensé à tout et préparé son acte jusque dans les moindres détails.

Ah ! comme son cœur plein de fourberie a su saisir l’occasion favorable pour « livrer commodément » son Maître (Marc 14:11) ! Avec quelle habileté il choisit ce jardin de Gethsémané, qu’il connaissait bien puisque « Jésus s’y était souvent assemblé avec ses disciples » (Jean 18:2) ! Quelque souvenir de ce passé si proche ne se réveillerait-il pas dans son cœur ? N’aurait-il pas quelque peu conscience de l’horreur de son acte ? Hélas ! ce cœur était devenu trop insensible pour l’arrêter sur la pente fatale. Dieu ne pouvait plus, si nous osons nous exprimer ainsi, que se servir de lui pour accomplir ses propres conseils.

Jésus avait dit à Judas : « Ce que tu fais, fais-le promptement » (Jean 13:27). Nous le voyons dès lors, rempli d’une énergie farouche, suivre jusqu’au bout le chemin de perdition que Satan ouvrait devant lui. Ayant reçu le morceau, il sort « aussitôt » dans la nuit complice. « Aussitôt, comme Jésus parlait encore », il arrive à la tête de ses acolytes. « Aussitôt, s’approchant de Jésus, il dit : Je te salue, Rabbi, et il le baisa avec empressement » (*) (Jean 13:30 ; Marc 14:43 ; Matt. 26:49).

 

(*) C’est-à-dire avec des démonstrations particulières d’affection. Le même verbe est traduit ailleurs par « couvrir de baisers », (Luc 7:38 et 45 ; 15:20)

 

« Celui qui le livrait leur avait donné un signe, disant : Celui que je baiserai, c’est lui ; saisissez-le, et emmenez-le sûrement » (Marc 14:44). N’aurait-il pu convenir d’un autre signe ? Hélas ! il croyait leurrer Celui qui « discerne les pensées et les intentions du cœur » (Héb. 4:12). Redoutait-il que le Seigneur, possédant « tout pouvoir », ne fît échec à la violence dont les méchants auraient tenté d’user envers lui ? Jésus n’était-il pas toujours parvenu à échapper à ses adversaires ? Ce qui est certain, c’est que le Seigneur ressentait profondément le bien ou le mal qui lui était fait. C’est ainsi qu’il avait dû dire à Simon: « Tu ne m’as pas donné de baiser ; mais elle, depuis que je suis entré, n’a pas cessé de couvrir mes pieds de baisers » (Luc 7:38, 45). L’indifférence du pharisien, comme l’ardent amour de la pécheresse, l’avaient touché jusqu’au plus profond de son âme. Combien plus vive encore était sa souffrance en Gethsémané où, dans la personne de Judas, l’homme manifestait toute sa turpitude !

Dans une troisième occasion, la Parole se sert de la même expression pour désigner les manifestations d’amour et de pardon du père à l’égard du fils prodigue revenu du « pays éloigné » : « Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, et, courant à lui, se jeta à son cou et le couvrit de baisers » (Luc 15:20). D’un côté, nous avons l’homme, de l’autre, Dieu.

Jésus avait tenté à plusieurs reprises de toucher la conscience de Judas, en usant de l’épée à deux tranchants de sa parole. « Les blessures faites par l’ami » avaient été « fidèles », mais « les baisers de celui qui haïssait » étaient devenus, pour Jésus, « fréquents » (Prov. 27:6). Une dernière fois, plein d’amour pour le pauvre disciple, il s’adresse à son cœur et à sa conscience : « Ami, pourquoi es-tu venu ? » « Judas, tu livres le fils de l’homme par un baiser ? » (Matt. 26:50 ; Luc 22:48). Ces questions montrent aussi combien le cœur sensible de Jésus ressentait douloureusement la trahison de son disciple.

Considérons maintenant les faits tels que Jean les relate. Il se place à un point de vue différent de celui des autres évangélistes. Ici aussi, Judas prend « la compagnie de soldats (*), et des huissiers, de la part des principaux sacrificateurs et des pharisiens » (Jean 18:3). Mais le traître ne les précède pas ; il « était là avec eux » (v. 5). Le Seigneur le prévient — ce qui est conforme au caractère de cet évangile — car il savait « toutes les choses qui devaient lui arriver ». Il s’avance donc à la rencontre de ses ennemis et leur demande : « Qui cherchez-vous ? », ce à quoi ils ne savent que répondre : « Jésus le Nazaréen ».

 

(*) C’est le seul passage qui mentionne cette « compagnie ». Ainsi, Judas n’avait pas seulement à ses ordres les serviteurs des principaux sacrificateurs et la garde (Lévitique) du temple (Luc 22:52), mais aussi des soldats de la garnison romaine de la forteresse Antonia. Le fait que cette troupe fût commandée par un chiliarque, c’est-à-dire originellement un « chef de millier » (Jean 18:12), permet de conclure qu’elle était nombreuse.

 

Jésus leur dit: « C’est moi ». Il parlait « comme ayant autorité » et « chassait les esprits par une parole » (Matt. 7:29 ; 8:16). Jamais homme ne parla comme cet homme (Jean 7:46). D’un seul mot il fait reculer et tomber ses ennemis à terre (Jean 18:6). Il aurait pu, comme il avait fait un jour sur le bord escarpé de la montagne de Nazareth, « passer au milieu d’eux et s’en aller » (Luc 4:29, 30). Mais il reste là, parfaitement serein, prenant la défense de ses bien-aimés disciples et se livrant lui-même à ses ennemis. « Je vous ai dit que c’est moi ; si donc vous me cherchez, laissez aller ceux-ci » (Jean 18:8). La foi discerne, dans ces quelques mots, toute l’œuvre du salut, comme aussi la profondeur de l’amour et de l’abnégation de Celui qui l’a accomplie. « L’homme qui reçoit des gages... laisse les brebis, et s’enfuit », tandis que « le bon berger met sa vie pour les brebis » (Jean 10:11, 12). Il sacrifie sa propre liberté, afin de « renvoyer libres ceux qui sont foulés » (Luc 4:19). Puis, « étant monté en haut, il a emmené captive la captivité » (Éph. 4:8). Appelé à glorifier Dieu de cette manière, comment n’aurait-il pas bu la coupe que le Père lui avait donnée ?

« Alors, s’étant approchés, ils mirent les mains sur Jésus et se saisirent de lui » (Matt. 26:50). Pour la première fois, l’homme met la main sur le Seigneur Jésus, à l’exception peut-être de la scène de Nazareth où « ils le chassèrent hors de la ville » (Luc 4:29). Jusqu’à ce moment-là, nous lisons : « Personne ne mit la main sur lui », « personne ne mit les mains sur lui », « personne ne le prit », « il échappa de leur main et s’en alla » (Jean 7:30, 44 ; 8:20 ; 10:39). Mais maintenant Dieu permet que le mal se donne libre cours, car « son heure était venue ».

Toute la folie de la chair se manifeste dans le geste de Simon Pierre qui « ayant une épée, la tira et frappa l’esclave du souverain sacrificateur et lui coupa l’oreille droite » (Jean 18:10). Sans doute agissait-il ainsi par amour pour son Seigneur et n’était-il pas le seul qui eût de telles pensées. Nous lisons, en effet, en Luc 22:49 : « Ceux qui étaient autour de lui, voyant ce qui allait arriver, lui dirent : Seigneur, frapperons-nous de l’épée ? » À une autre occasion, quelques disciples avaient demandé à Jésus : « Seigneur, veux-tu que nous disions que le feu descende du ciel et les consume ? » Ils montraient, dans ces deux circonstances, qu’ils « ne savaient de quel esprit ils étaient animés ».

Le fait que deux disciples portaient une épée était déjà fort surprenant (Luc 22:38). Hélas ! à toutes les époques de l’histoire de l’église chrétienne, certains de ceux qui se réclament de Christ ont « tiré l’épée », au sens propre ou figuré du terme, et trahi ainsi l’esprit de Celui qui est « débonnaire et humble de cœur ». Avec quelle douceur enseigne-t-il, ici encore, ses disciples : « Laissez faire jusqu’ici... Remets ton épée en son lieu ; car tous ceux qui auront pris l’épée périront par l’épée » (Luc 22:51 ; Matt. 26:52). L’histoire et l’expérience confirment la véracité de ces paroles.

C’était aussi une folie que de vouloir affronter avec deux épées les soldats du chiliarque. Pierre se révèle d’ailleurs d’une grande maladresse dans le maniement de son arme. Mais, au milieu de la confusion générale, le Seigneur trouve le temps de réparer les effets de l’acte irréfléchi de son disciple. Pour la dernière fois, il étend sa main secourable pour « faire du bien et guérir » (Actes 10:38) (*).

 

(*) Luc seul mentionne ce miracle, ainsi qu’il a coutume de rapporter maint trait touchant de la vie du Seigneur. Jean cite le nom de l’esclave : Malchus (18:10), ce qui permet de supposer que cet homme a été sauvé ultérieurement et était, de ce fait, connu des premiers chrétiens.

 

Enfin, l’acte de Pierre était une folie parce qu’il ravalait Christ au niveau d’un homme ayant besoin de protection, et le dépouillait ainsi de sa gloire divine. Si celle-ci était demeurée cachée aux hommes, elle avait été pleinement révélée à Pierre (Matt. 16:16 ; 17:1 et suiv.). Ce n’était donc point aux apôtres à assurer la protection de Jésus — l’un d’entre eux ne l’avait-il pas trahi ? — et il lui aurait suffi de prier son Père pour obtenir le concours invincible de « plus de douze légions d’anges » et « de la multitude de l’armée céleste » (Matt. 26:53 ; Luc 2:13). Et n’était-il point « l’Éternel des armées, le Puissant d’Israël » qui se satisferait en ses adversaires et se vengerait de ses ennemis ? (Ésaïe 1:24). Mais l’heure du jugement et de la vengeance n’avait pas encore sonné. C’était en grâce que le Seigneur était au milieu des hommes, afin d’accomplir l’œuvre nécessaire à leur rédemption. C’est pourquoi il fallait « qu’il en arrive ainsi » (Matt. 26:54). Lorsque le Seigneur Jésus descendra pour la seconde fois sur la terre, alors ce ne sera pas en grâce, mais en jugement, non dans l’abaissement, mais « dans sa gloire et tous les anges avec lui » (Matt. 25:31).

Dans la scène qui nous occupe, nous voyons le Seigneur dans l’abaissement et la honte, et pourtant élevé au-dessus de tout ce qui l’entoure. Il n’est pas occupé de lui-même, mais de Judas, puis des siens, de Pierre, de Malchus ; enfin, il s’adresse, avec une dignité souveraine, à ceux qui viennent le prendre et met en évidence l’infamie de leur conduite : « Êtes-vous sortis comme après un brigand, avec des épées et des bâtons, pour me prendre ? » (Matt. 26:55, 56). Ces armes témoignaient de leur mauvaise conscience. Il avait été « tous les jours assis parmi eux, enseignant dans le temple » (Luc 21:37, 38). Était-il si difficile de se saisir alors de lui ? Certes, s’ils le prenaient enfin, ce n’était point grâce à leurs armes, mais « afin que les écritures des prophètes fussent accomplies ». Son heure était venue et c’était aussi « leur heure et le pouvoir des ténèbres » (Luc 22:53) — l’homme et Satan unis contre Dieu. Toutefois, la victoire apparente qu’ils remportent alors va se muer bientôt en une défaite écrasante.

« Alors tous les disciples le laissèrent et s’enfuirent » (Matt. 26:56). Ils étaient tous « scandalisés en lui », comme il le leur avait annoncé, car ils ne pouvaient comprendre ce qu’il allait accomplir. « Amis et compagnons furent éloignés de lui », « le troupeau fut dispersé », laissant seul le Berger contre qui « l’épée s’était réveillée » (Matt. 26:31 ; Ps. 88:18 ; Zach. 13:7).

Il ne pouvait en être autrement. Entre l’arche (Christ) et le peuple, lors de l’entrée en Canaan, une distance d’environ deux mille coudées devait être maintenue. « N’en approchez pas, afin que vous connaissiez le chemin par lequel vous devez marcher ». Quel était ce chemin ? Il conduisait à travers le Jourdain qui « regorgeait par-dessus tous ses bords », et nul homme « n’avait passé par ce chemin ci-devant... » L’arche devait ouvrir le Jourdain devant le peuple (Josué 3:4, 6-15). Nombreux sont ceux qui, aveugles quant à leur propre état de péché, s’efforcent de franchir le Jourdain et de pénétrer dans le pays de la promesse sans l’arche, c’est-à-dire d’aller au ciel sans le Sauveur. Quelle funeste erreur ! Ils seront engloutis à jamais dans les flots du « Jourdain ». Leur part sera une séparation éternelle de Dieu — « la seconde mort » (Apoc. 20:14) — parce qu’ils auront cru pouvoir paraître en sa sainte présence dans leur état de péché.

Le Seigneur avait dit à Pierre : « Là où je vais, tu ne peux me suivre maintenant » (Jean 13:36). Seul celui qui a reconnu la perdition et la ruine complètes de l’homme naturel peut comprendre ces paroles. C’était ce qui manquait à Pierre et aux autres disciples. C’est pourquoi aussi le « certain jeune homme » qui avait voulu suivre Jésus, avait dû s’enfuir couvert de honte, abandonnant « la toile de fin lin » dont il se prévalait sans doute, pour rester dans sa misère et sa nudité absolues (Marc 14:51, 52).

Qu’advient-il du Seigneur ? « La compagnie de soldats donc, le chiliarque et les huissiers des Juifs se saisirent de Jésus et le lièrent » (Jean 18:12). Ainsi, les hommes n’eurent, pour ces mains qui avaient semé partout bienfait sur bienfait, que des liens infamants et, quelques heures plus tard, des clous douloureux.

 

4                    Interrogatoire nocturne

Le Seigneur Jésus dut subir six interrogatoires consécutifs, savoir :

 

1. Devant les principaux sacrificateurs. Jean 18:12-24.

2. Interrogatoire nocturne devant le sanhédrin (les principaux sacrificateurs « cherchaient quelque témoignage contre Jésus »). Matt. 26:57-66 ; Marc 14:53-64.

3. Séance du sanhédrin au point du jour (les principaux sacrificateurs « tinrent conseil contre Jésus »), décrite seulement en Luc 22:66-71 ; mentionnée en Matt. 27:1 et en Marc 15:1.

4. Devant Pilate. Matt. 27:11-14 ; Marc 15:2-5 Jean 18:28-38.

5. Devant Hérode. Luc 23:8-12.

6. Une seconde fois devant Pilate. Matt. 27:15-26 ; Marc 15:6-15 ; Luc 23:13-25 ; Jean 18:38 à 19:16.

 

Nous ne pouvons saisir qu’imparfaitement la portée d’une procédure aussi insolite, probablement unique dans l’histoire du monde. Les premiers chrétiens étaient encore étreints par l’émotion que ces événements avaient produite en eux, lorsqu’ils « élevèrent d’un commun accord leur voix à Dieu, et dirent :... Dans cette ville, contre ton saint serviteur Jésus que tu as oint, se sont assemblés et Hérode et Ponce Pilate, avec les nations et les peuples d’Israël ». Oui, « les rois de la terre se sont trouvés là, et les chefs se sont réunis ensemble contre le Seigneur et contre son Christ » (Actes 4:24 et suiv.). À vues humaines, Celui qui comparaissait devant de tels juges n’avait aucune possibilité d’échapper à la condamnation. Cependant « le déchaînement des nations » n’aboutit qu’à une victoire fallacieuse et « les peuples n’ont projeté que des choses vaines ». En effet, pourquoi s’étaient-ils assemblés ? « Pour faire toutes les choses que ta main et ton conseil avaient à l’avance déterminé devoir être faites ». Mais cela n’atténue en rien la responsabilité de l’homme, et en particulier, du peuple Israël.

Déjà lorsque le Seigneur était venu sur cette terre, « le roi Hérode en fut troublé et tout Jérusalem avec lui » (Matt. 2:3-4). Alors aussi s’étaient assemblés contre lui « tous les principaux sacrificateurs et scribes du peuple ». Leur opposition et leur haine croissante furent les mobiles constants de leurs agissements envers Christ durant toute sa vie. Peu avant sa crucifixion, cette haine atteignit son paroxysme, mais déjà à partir du moment où ils crurent le tenir entièrement en leur pouvoir, elle les poussa à agir sans s’accorder ni relâche ni sommeil.

Après son arrestation, le Seigneur fut amené premièrement à Anne qui le fit conduire aussitôt auprès de Caïphe « qui était souverain sacrificateur cette année-là » (*) (Jean 18:12-24).

 

(*) Jean ajoute ce détail chaque fois qu’il mentionne le nom de Caïphe. Ainsi, lorsqu’en Jean 18:15 et suiv. il est question du souverain sacrificateur, il ne peut s’agir que de Caïphe, et non d’Anne (cf. v. 24). À cette époque, la sacrificature était entièrement ruinée. Le souverain sacrificateur n’était plus établi selon l’ordre héréditaire, comme Dieu l’avait prescrit (Ex. 29:29, 30 ; Lév. 16:32), mais les influences politiques, les diverses tendances religieuses, l’ambition et l’argent déterminaient le choix. L’histoire profane rapporte qu’Anne avait été déposé en l’an 15 de notre ère par les Romains et que son beau-fils Caïphe lui avait succédé en l’an 26. Les mots cités par Jean laissent entendre que le souverain sacrificateur changeait chaque année (cf. Actes 4:6), tandis que Luc 3:2 semble indiquer que les deux hommes exerçaient cette charge concurremment. Quelle confusion !

 

Dans l’évangile de Jean, le Seigneur se tient seulement devant ces deux hommes, et non devant tout le sanhédrin. C’est eux, et surtout Caïphe, qui sont responsables de sa condamnation (Jean 19:11). Caïphe est déjà nommé en Jean 11. En ressuscitant Lazare, le Seigneur s’était révélé d’une manière évidente comme le Fils de Dieu, de sorte que « plusieurs d’entre les Juifs crurent en lui » (Jean 11:45). Alors Caïphe, balayant toutes les hésitations de ses comparses, se met à leur tête et exige la mort de Jésus pour des raisons d’intérêt national. C’est donc lui qui en est l’instigateur, car « depuis ce jour-là, ils consultèrent ensemble pour le faire mourir » (Jean 11:51-53 ; 18:14).

Pauvre homme ! Il déclarait la guerre à Dieu ! Cela devait lui coûter, sur la terre déjà, outre « une bonne somme d’argent » (Matt. 28:11 et suiv.) un mensonge en vue de sauvegarder, aux yeux du peuple, l’apparence d’un succès. Son nom est de nouveau cité parmi les persécuteurs des premiers chrétiens (Actes 4:6). Quelle terrifiante moisson aura-t-il récoltée de ses propres semailles ! (*)

 

(*) L’histoire rapporte qu’il fut destitué par les Romains, en l’an 36 ou 37, soit quelques années après la mort du Seigneur. Il dut ainsi achever sa vie dans l’amertume, comme beaucoup de ceux qui croient pouvoir s’élever contre Dieu et contre le Seigneur Jésus.

 

« Le souverain sacrificateur donc interrogea Jésus touchant ses disciples et touchant sa doctrine » (Jean 18:19). C’était une question de pure forme. Peut-être Caïphe voulait-il aussi instruire l’affaire à fond — de là la question concernant les disciples — et établir contre Jésus des chefs d’accusation lui permettant d’atteindre plus sûrement le but qu’il s’était proposé depuis longtemps. Mais le bon Berger n’était aucunement disposé à livrer au loup la moindre de ses brebis. Quant à sa doctrine, Caïphe avait eu maintes fois l’occasion de l’entendre, car le Seigneur avait « ouvertement parlé au monde et toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple », et n’avait « rien dit en secret » (Jean 18:20). Certes, « il ne pouvait être caché » (Marc 7:24). Si Caïphe n’avait pas saisi ces nombreuses occasions de l’entendre, il en était seul responsable. Il pouvait s’adresser aux publicains et aux pécheurs, car ils avaient « des oreilles pour entendre » et « savaient, eux, ce qu’il avait dit » (Luc 14:35 ; 15:1 ; Jean 18:21).

Avec quelle sagesse et quelle dignité le Seigneur répondait-il à Caïphe, le plus perfide de ses ennemis ! Nous le voyons de nouveau en cette circonstance, comme toujours dans cet évangile, dominer les hommes et les événements. La ruine du peuple Israël est si complète que Jésus ne peut reconnaître en aucune manière le souverain sacrificateur établi par les hommes, ni ne se rétracte, comme Paul dut le faire en une circonstance semblable (Jean 18:22, 23 ; Actes 23:1 et suiv.). C’est lui qui, devant Caïphe, a le dernier mot. Dans les évangiles de Matthieu et de Marc, nous voyons, en contraste avec l’évangile de Jean, l’injustice des chefs du peuple triompher en apparence, déjà au commencement de ce premier interrogatoire.

Jusqu’alors le Seigneur n’avait, en face de lui, qu’un petit nombre d’accusateurs. Mais la scène s’anime brusquement : « Tous les principaux sacrificateurs et les anciens et les scribes s’assemblent » maintenant auprès de Caïphe (Marc 14:53-64 ; Matt. 26:57-66). Bien que la séance officielle du sanhédrin ne débutât qu’au lever du jour (Luc 22:66), c’est au cours de cette audience nocturne que, en ce qui concerne Israël, Christ fut condamné (*).

 

(*) Aux termes des ordonnances juives, il était interdit à un tribunal de siéger de nuit. Le sanhédrin était une cour suprême dont les arrêts étaient sans appel. Composé de 70 membres et présidé par le souverain sacrificateur, il siégeait dans le temple et non, comme ici, dans la maison du souverain sacrificateur (Luc 22:54). Ainsi, dans le cas du Seigneur Jésus, le sanhédrin était réuni à une heure illicite, en un lieu insolite, ce qui trahissait assurément la mauvaise conscience de ses membres.

 

Quelle étrange juridiction ! « Les principaux sacrificateurs et tout le sanhédrin cherchaient quelque témoignage contre Jésus, pour le faire mourir » (Marc 14:55). Leur sentence était arrêtée d’avance. Mais pour pouvoir la rendre avec une apparence de légalité, il leur fallait d’abord « chercher quelque témoignage » ! Matthieu précise même : « Ils cherchaient quelque faux témoignage contre Jésus » (26:59). Ils étaient donc convaincus qu’ils ne parviendraient point à fonder leur verdict sur la justice. Une fois déjà, ils « avaient tenu conseil pour l’enlacer dans ses paroles ». Ils « l’observaient et avaient envoyé des agents secrets qui feignaient d’être justes, pour le surprendre en quelque parole » (Matt. 22:15 ; Marc 12:13 ; Luc 20:20).

N’ayant pu « le surprendre dans ses paroles devant le peuple » (Luc 20:26), ils allaient s’efforcer — et avec quel acharnement ! — d’y parvenir en une audience tenue à huis clos, nuitamment. Ils se souciaient peu de ce que la loi réprimât sévèrement le faux témoignage (Ex. 20:16 ; Deut. 19:16 et suiv.). D’ailleurs, leurs efforts restèrent vains : « Ils n’en trouvèrent point — bien que plusieurs faux témoins fussent venus » (Matt. 26:60). Il aurait suffi pourtant de deux témoignages concordants. Ainsi, la déclaration du Seigneur Jésus : « Qui d’entre vous me convainc de péché ? » (Jean 8:46) trouva sa confirmation la plus éclatante devant le tribunal suprême des Juifs. Les deux témoins qui « vinrent à la fin » étaient aussi de « faux témoins », car le Seigneur Jésus n’avait pas prononcé les paroles qu’ils lui imputaient (Matt. 26:60, 61 ; Marc 14:57, 58 ; Jean 2:19 et suiv.). En effet, il n’avait pas dit : « Je puis détruire », ni « Je détruirai », ni songé au « temple qui est fait de main », mais il avait annoncé ce qu’eux, ses ennemis, feraient du « temple de son corps », et avait parlé ainsi de sa mort et de sa résurrection. « Ainsi non plus leur témoignage ne s’accordait pas » (Marc 14:59), et la condition prescrite par la loi n’était pas remplie, selon laquelle « sur la déposition de deux ou sur la déposition de trois témoins, la chose sera établie » (Dent. 17:6 ; 19:15).

Dieu avait, en termes solennels, mis en garde son peuple contre tout jugement inique (Deut. 16:18-20). Mais ces juges-là n’avaient cure de sauvegarder ne fût-ce que les apparences de la justice. Le temps passait, et Caïphe voulait en finir. « Le souverain sacrificateur, se levant devant tous, interrogea Jésus, disant : Ne réponds-tu rien ? De quoi ceux-ci témoignent-ils contre toi ? Et il garda le silence, et ne répondit rien » (Marc 14:60). Le premier homme, coupable, avait tenté de se disculper devant le Juge omniscient (Gen. 3:12). Le second homme, innocent, comparaissant devant un juge inique, ne cherche point à se justifier, mais garde le silence. À sept reprises, dans le récit de la passion, les auteurs inspirés mentionnent ce divin mutisme. « Mais Jésus garda le silence... Il ne répondit rien... Il ne lui répondit pas même un seul mot... Jésus ne lui donna pas de réponse » (Matt. 26:63 ; 27:12 et 14 ; Marc 14:60 ; 15:5 ; Luc 23:9 ; Jean 19:9). Seigneur adorable « qui, lorsqu’on l’outrageait, ne rendait pas d’outrage, quand il souffrait, ne menaçait pas, mais se remettait à celui qui juge justement » ! (1 Pierre 2:23).

Alors le souverain sacrificateur, perdant patience, recourt à l’ultime ressource : l’adjuration. Il dit à Jésus : « Je t’adjure, par le Dieu vivant, que tu nous dises si toi, tu es le Christ, le Fils de Dieu » (Matt. 26:63).

Instant solennel, dispensé par Dieu lui-même, en vue de mettre en lumière les vrais mobiles qui poussaient l’homme à rejeter le Fils de Dieu. En effet, ni les faux témoignages, ni aucune accusation quelconque formulée par l’homme, n’ont motivé sa condamnation, mais seulement le témoignage qu’il rendit lui-même à la vérité, lui qui était « la vérité » (Jean 1:17 ; 14:6 ; 18:37).

Ayant entendu l’adjuration de Caïphe, le Seigneur se serait mis en contradiction avec la loi de Dieu, s’il avait persisté à garder le silence (*). Une telle désobéissance était inconcevable de sa part.

 

(*) Les mots « Je t’adjure par le Dieu vivant » constituaient la formule du serment prononcée par le juge. Elle contraignait « l’adjuré » à dire la vérité. Si quelqu’un, disait la loi, « ayant entendu la voix d’adjuration, ayant vu ou su, ne déclare pas la chose, alors il portera son iniquité » (Lév. 5:1 ; cf. Prov. 29:24).

 

Dans cette atmosphère de haine et mensonge, il demeure l’homme obéissant et parfait, le seul qui soit, en son silence, dévoué à Dieu, le seul qui soit, dans ses paroles, « le témoin fidèle et véritable » (Apoc. 3:14). « Jésus dit : Je le suis... Tu l’as dit » (Marc 14:62 ; Matt. 26:64). Il n’ignorait pas quelles seraient les conséquences de ce témoignage qui établirait sa culpabilité aux yeux de ses juges. Mais il n’affectionnait pas sa vie (Jean 12:25). Homme obéissant, soumis à la loi de Dieu et à la volonté de son Père, « il s’est abaissé lui-même, étant devenu obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix » (Phil. 2:8).

Mais l’homme qui comparaissait devant le sanhédrin était venu du ciel. Comme tel, il s’élève aussitôt de sa position d’abaissement et de dépendance jusqu’aux sommets les plus glorieux de sa divine majesté. Avec ces mots : « De plus, je vous dis », le Seigneur tourne, pour ainsi dire, la page et, d’accusé se fait juge, tandis que ses juges doivent s’asseoir au banc des accusés. « De plus, je vous dis : dorénavant vous verrez le fils de l’homme assis à la droite de la puissance, et venant sur les nuées du ciel » (Matt. 26:64).

Nous parvenons ici à l’instant le plus solennel de cette nuit. Jésus connaissait le cœur des chefs du peuple et l’écho que son témoignage à la vérité allait produire en eux. Mais celui qui rejetait la grâce si généreusement offerte, s’exposait désormais au jugement d’un Dieu juste et saint. Avant que les juges iniques eussent prononcé leur sentence, ils entendirent leur propre condamnation, de la bouche même de Celui dont « le jugement est juste » (Jean 5:30).

Si le Messie avait été jusqu’alors l’objet de leur attente (et il était encore temps de reconnaître le Seigneur Jésus comme tel), il ne leur restait « dorénavant » plus qu’à attendre « le fils de l’homme », comme juge. Si, jusque-là, il avait passé parmi eux « de lieu en lieu, faisant du bien, et guérissant tous ceux que le diable avait asservis à sa puissance » (Actes 10:38), ils ne le verraient plus désormais ainsi, humble et méprisé, mais « assis à la droite de la puissance ». Lorsqu’il reviendrait sur la terre, ce ne serait plus « pour chercher et sauver », mais « sur les nuées du ciel », revêtu de la gloire du ciel, pour juger son peuple terrestre (Matt. 24:29, 30 ; Ps. 110:1, 2, 5).

C’est en vain que nous chercherions, chez ces hommes impies, l’expression d’une anxiété quelconque, à la suite de cette déclaration solennelle du Seigneur Jésus. La sentence qu’il avait adressée à Jérusalem : « Mais maintenant ces choses sont cachées devant tes yeux » (Luc 19:42), s’appliquait à eux aussi. Car ce qui aurait dû les amener à la repentance, leur fournit au contraire l’occasion qu’ils cherchaient de mettre à exécution leur diabolique dessein.

« Alors le souverain sacrificateur déchira ses vêtements, disant : Il a blasphémé ; qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Voici, vous avez ouï maintenant son blasphème : que vous en semble ? » (Matt. 26:65). Quel aveuglement ! Tout en accusant le Fils de Dieu de blasphémer et de désobéir à la loi — ce qui méritait le châtiment suprême — alors qu’il avait rendu témoignage à la vérité, Caïphe viole lui-même la loi et se rend ainsi passible de mort ! En effet, la loi ordonnait au souverain sacrificateur et à ses fils : « Ne déchirez pas vos vêtements, afin que vous ne mouriez pas, et qu’il n’y ait pas de la colère contre toute l’assemblée » (Lév. 24:16 ; 10:6 ; 21:10).

« Tous le condamnèrent » et dirent : « Il mérite la mort » (Marc 14:64 ; Matt. 26:66). Cette sentence constituait un véritable crime judiciaire. « Comment la ville fidèle est-elle devenue une prostituée ? Elle était pleine de droiture ; la justice habitait en elle, et maintenant, des meurtriers ! » (Ésaïe 1:21).

Le but de cette assemblée nocturne était atteint ; la sentence, rendue ; le sort de Jésus, fixé ; mais aussi celui d’Israël, qui venait ainsi de condamner son roi, l’oint de Dieu. L’homme condamnait à mort « Dieu manifesté en chair » (1 Tim. 3:16). Si insensé qu’il parût, si présomptueux qu’il fût, cet acte est devenu, cette nuit-là, dans la maison du souverain sacrificateur, un fait historique. Dieu l’a permis, afin de manifester l’état du cœur humain, mais aussi afin d’ouvrir à l’homme coupable un chemin par lequel il pût être sauvé.

 

5                    Tu me renieras trois fois

(Matt. 26:56, 69-75 ; Marc 14:54, 66-72 ; Luc 22:54-62 ; Jean 18:15-18, 25-27)

 

Après l’arrestation du Seigneur Jésus Christ, « tous les disciples le laissèrent et s’enfuirent » (Matt. 26:56). Puis Pierre et « l’autre disciple » (*) revinrent, sans doute, sur leurs pas. Déjà lorsqu’il avait tiré l’épée, Pierre s’était exposé à un grave péril pour le Seigneur. Il était sincère quand il avait déclaré : « Seigneur, pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant ? Je laisserai ma vie pour toi » (Jean 13:37). S’il suit Jésus « de loin » (Marc 14:54), il ne l’accompagne pas seulement un bout de chemin, mais pénètre « jusque dans l’intérieur du palais du souverain sacrificateur ». Là, il se mêle à ceux devant qui il avait fui peu auparavant et « s’assied au milieu d’eux » (Luc 22:55). Il voulait « voir la fin » (Matt. 26:58), ce qui montre que son cœur était rempli de sollicitude pour son Seigneur.

 

(*) Il s’agissait de Jean. Voir Jean 18:15 ; 20:2 ; 21:20-24.

 

Il avait toujours manifesté beaucoup de zèle pour lui. Mais une chose manquait encore à Pierre : il n’avait pas appris à se connaître lui-même et ignorait la complète incapacité de la chair à accomplir la volonté de Dieu. Une terrible chute allait lui apprendre cette leçon ; l’heure de la tentation manifesterait le véritable état de son cœur.

« Le chef du monde vient, et il n’a rien en moi » avait déclaré le Seigneur Jésus (Jean 14:30, 31). L’or allait être éprouvé au feu et en ressortirait aussi pur qu’auparavant. Son amour et son obéissance envers le Père furent pleinement manifestés aux yeux de tous. Mais qu’en fut-il des disciples ? Hélas ! chez eux, tout n’était point d’or pur. Le « certain jeune homme » se confiait en son vêtement de fin lin et dut l’abandonner. Pierre se confiait en lui-même et fut couvert de honte.

Et pourtant, avec quelle grâce le Seigneur n’avait-il pas averti son disciple ! « Simon, Simon, voici, Satan a demandé à vous avoir pour vous cribler comme le blé ; mais moi, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, quand une fois tu seras revenu, fortifie tes frères » (Lue 22:31, 32). Ce nom de Simon dont le Seigneur use en cette occasion rappelle ce que Pierre était par nature. D’un côté le faible Simon ; de l’autre, toute la puissance de Satan, « le meurtrier dès le commencement ». N’aurait-il pas dû tomber sur sa face et supplier le Seigneur de lui accorder ses compassions et le puissant secours de sa grâce ?

Comment donc n’était-il pas profondément humilié en considérant avec quelle fidélité le Seigneur avait pourvu par avance à sa restauration et lui confiait même un service en faveur de ses frères ? Au lieu de cela il lui répond : « Seigneur, avec toi, je suis prêt à aller et en prison et à la mort » (Luc 22:33 ; Marc 14:29 et suiv.). « Je suis prêt » ! C’était le langage de la présomption.

Pierre, n’ayant pas voulu écouter les avertissements du Seigneur, ne sut pas, le moment venu, veiller et prier. Et parce qu’il négligea la vigilance et la prière, il succomba à la tentation (Marc 14:37, 38). Lorsqu’elle se présenta, il combattit d’abord l’ennemi, puis s’associa avec lui et renia à trois reprises son Seigneur, comme celui-ci le lui avait annoncé.

Tandis que le sanhédrin siège dans l’une des salles donnant sur la cour du palais (*), Pierre se mêle aux serviteurs du souverain sacrificateur et « s’assied au milieu d’eux » (Luc 22:55). Il se chauffe au « feu de charbon » que les ennemis de son Maître avaient allumé dans la cour « car il faisait froid » (Jean 18:18, 25). Comment Pierre aurait-il pu, en un tel lieu, faire preuve de la force dont il s’était vanté ? En fait, il se montre d’emblée plus faible qu’une femme : il prend peur devant le regard scrutateur (Luc 22:56) de la servante (**) qui l’avait laissé entrer sur la recommandation de l’autre disciple, connu d’elle. Le voilà qui renie une première fois le Seigneur « devant tous » (Matt. 26:70). « Et toi, n’es-tu pas des disciples de cet homme ? — Je n’en suis point... Je ne sais ni n’entends ce que tu dis... Femme, je ne le connais pas » (Jean 18:17 ; Marc 14:68 ; Luc 22:57).

 

(*) Cette salle était ouverte du côté de la cour (voir Luc 22:61). Le palais selon la disposition habituelle à cette époque comprenait une grande cour intérieure, sur laquelle donnaient les salles du bâtiment, précédées d’un péristyle (voir la note, Matt. 26:69).

 

(**) Il s’agissait d’une gardienne des portes (Jean 18:17). Il n’est pas possible d’établir clairement tous les détails de cette scène. Une chose est certaine : Pierre a renié Jésus à trois occasions distinctes, à la suite de l’intervention de plusieurs personnes.

 

En proie à une agitation intérieure, il sort « dans le vestibule », où la première, puis une seconde servante et ceux qui étaient avec elle lui adressent la même question (Matt. 26:71 ; Marc 14:68, 69 ; Luc 22:58). « Il le nia de nouveau avec serment : Je ne connais pas cet homme ! » (Matt. 26:72). Quel langage ! Que la servante appelle le Seigneur Jésus « cet homme » (Jean 18:17), nous l’admettons à la rigueur. Mais ici, c’est son disciple qui s’oublie à ce point, peu après lui avoir juré fidélité jusqu’à la mort.

En Gethsémané, le Seigneur avait subi à trois reprises les assauts de Satan ; le combat devenait toujours plus ardent, mais l’Homme parfait était soutenu par la puissance de Dieu. Le faible disciple, abandonné à lui-même, subit, lui aussi, trois assauts toujours plus violents. Après une brève accalmie, « environ une heure après » (Luc 22:59), l’ennemi lui assène par surprise un coup décisif : « Ton langage te fait reconnaître... Car aussi tu es Galiléen » (Matt. 26:73 ; Marc 14:70). Même l’un des esclaves du souverain sacrificateur, « parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, dit : Ne t’ai-je pas vu, moi, dans le jardin avec lui ? » (Jean 18:26). Alors le pauvre disciple perd toute contenance. Tandis que, devant Caïphe et ses comparses, « le témoin fidèle et véritable » affronte la mort avec une sérénité admirable, Pierre, pour sauver sa vie, se met « à faire des imprécations et à jurer : Je ne connais pas cet homme dont vous parlez » (Matt. 26:74 ; Marc 14:71).

« Et à l’instant, comme il parlait encore, le coq chanta » (Luc 22:60). « Le coq chanta pour la seconde fois », précise l’évangile de Marc (14:72). Celui par qui et pour qui toutes choses ont été créées (Col. 1:16) se servit de cette créature dépourvue d’intelligence, en vue de secourir son disciple tombé si bas. Qui, dans cette nuit-là, pouvait bien prêter attention au chant du coq ? Mais, pour Pierre, ce fut comme un éclair déchirant d’épaisses ténèbres, un réveil plein de terreur. Ah ! que n’a-t-il pris garde au premier chant du coq (Marc 14:68) ! Ce n’est qu’au second, « qu’il se ressouvint de la parole que Jésus lui avait dite : Avant que le coq chante deux fois, tu me renieras trois fois » (Marc 14:72). Une restauration serait-elle possible, après une telle chute ? Pierre pourrait-il retrouver un jour la joie de la communion avec son Sauveur ?

Il ne peut qu’être dans une profonde détresse. Mais le Seigneur, se tournant, regarda Pierre » (Luc 22:61). Le regard craintif du disciple est rencontré par le regard plein de compassion de Jésus qui, en dépit des souffrances qui étreignaient son âme, est rempli de sollicitude envers son cher disciple. Loin de se détourner de lui avec horreur, Celui à qui personne n’avait témoigné de compassion (Ps. 69:20) exprime, par ce regard, toute la grâce dont son cœur était rempli envers un homme qui venait de « nier trois fois de le connaître » (Luc 22:34). Le Seigneur voulait atteindre ainsi le cœur et la conscience de Simon Pierre. Luc seul rapporte ce détail et — fait digne de remarque — dans cet évangile, c’est moins le chant du coq que le regard de Jésus qui amena Pierre à se ressouvenir de l’avertissement du Seigneur (Luc 22:61).

« Et Pierre, étant sorti dehors, pleura amèrement » (Luc 22:62). Ces larmes exprimaient son profond repentir, et elles s’accompagnent de « fruits qui conviennent à la repentance » (Luc 3:8). Le « cœur trompeur et incurable » (Jér. 17:9) cherche toujours à se contenter de l’une seulement de ces deux choses. On peut manifester des sentiments de regret, tout en persévérant dans un chemin de désobéissance. Mais ce n’est pas là un vrai repentir, il est sans valeur. La « tristesse qui est selon Dieu » avait produit, chez les Corinthiens, « une repentance à salut dont on n’a pas de regret » (2 Cor. 7:10). Il en fut de même pour Pierre : brisé par le regard de son Seigneur bien-aimé, il « sortit dehors », quittant ainsi le lieu qui lui avait été une occasion de chute, tout en versant des larmes amères que produisait le sentiment de sa profonde culpabilité.

Que se passa-t-il par la suite ? Si le chemin qui conduit à l’abîme est rapide, combien ardu et douloureux est celui qui en remonte ! Mais le Seigneur pourvoit à tout en faveur de son malheureux disciple. Il avait prié pour lui avant sa chute. Son regard se pose sur lui alors qu’il vient de la consommer, et, plus tard, il l’entoure de ses soins miséricordieux en vue de le restaurer entièrement. C’est à lui qu’il fit annoncer en premier lieu sa résurrection. C’est lui aussi qui fut le premier disciple à qui il se manifesta (*) (Marc 16:7 ; 1 Cor. 15:5). « Le Seigneur est réellement ressuscité, et il est apparu à Simon » (Luc 24:34).

 

(*) Jésus « apparut premièrement à Marie de Magdala » (Marc 16:9), mais en 1 Cor. 15, il n’est question que des témoins masculins de sa résurrection.

 

De même que le Seigneur, s’étant levé du souper, avait pris de l’eau pour laver les pieds des disciples, sa parole divine fut l’eau purificatrice dont il se servit, lors de sa première rencontre avec Pierre, pour laver ses pieds souillés. « Si je ne te lave, tu n’as pas de part avec moi », lui avait-il dit ce soir-là (Jean 13:7, 8). Ce que Pierre ne comprit pas alors, il le comprit « dans la suite », c’est-à-dire lors de cette première rencontre avec Christ ressuscité. Cependant la Parole ne rapporte nulle part l’entretien qui eut lieu entre le Seigneur et son disciple : le Saint Esprit a étendu pour toujours le voile du secret sur cette heure, où s’est certainement opéré un travail profond. Le cœur de Pierre était encore bien lourd lorsqu’il courait au sépulcre, avant cette rencontre avec Jésus ! (Jean 20:4). Mais après qu’elle a eu lieu, lorsqu’il apprend que c’était le Seigneur qui se tenait sur le rivage de la mer de Tibérias, il « ceignit sa robe de dessus... et se jeta dans la mer », tant il était impatient de jouir de sa présence (Jean 21:7-9). Le Seigneur avait préparé là un feu pour son cher disciple, auprès duquel celui-ci pouvait se réchauffer. L’entretien qu’il eut ensuite avec Pierre révéla clairement à ce dernier la racine du mal qui avait amené sa chute, savoir sa confiance en la chair. Cette racine ayant été entièrement jugée, Pierre se voit confier un nouveau service. Grâce à cette œuvre de restauration, put s’accomplir la parole que Jésus lui avait dite : « Et toi, quand une fois tu seras revenu, fortifie tes frères » (Luc 22:32).

Anticipant quelque peu la suite des événements, nous aimerions jeter un regard sur la scène décrite en Actes 4. Nous y retrouvons le même sanhédrin (v. 15), les mêmes hommes (v. 6), les mêmes disciples (v. 13) que ceux que nous venons de rencontrer, à cela près que, cette fois-ci, les disciples sont au banc des accusés, à la place que leur Seigneur occupait naguère. Mais quel changement chez eux ! Le cœur de Pierre n’est plus rempli de confiance en soi, mais « du Saint Esprit » (v.8). Il n’éprouve plus aucune crainte envers les hommes, mais agit et parle dans la puissance du Seigneur. Aussi, bien loin de le renier, il confesse hautement devant tout le peuple « le nom de Jésus Christ le Nazaréen », le seul nom « qui soit donné parmi les hommes, par lequel il nous faille être sauvés » (v. 9-12).

Les principaux sacrificateurs « les reconnaissaient pour avoir été avec Jésus » et « s’étonnaient » de leur hardiesse lorsqu’ils s’aperçurent « qu’ils étaient des hommes illettrés et du commun » (v. 13). Combien plus grand encore aurait été leur étonnement s’ils avaient su à quel point ces hommes étaient faibles et misérables en eux-mêmes, ainsi que Pierre l’avait prouvé en reniant son Maître. Mais si leurs yeux avaient été ouverts, ils auraient été émerveillés — comme nous — de l’œuvre que la grâce divine avait opérée pour la restauration de ce faible disciple, au point qu’il pouvait déclarer au peuple : « Mais vous, vous avez renié le saint et le juste » (Actes 3:14).

 

6                    L’opprobre des hommes et le méprisé du peuple

(Matt. 26:67, 68 ; Marc 14:65 ; Luc 22:63-65)

 

Considérons maintenant les événements qui marquèrent la fin de « la nuit que le Seigneur fut livré », scène durant laquelle le « Seigneur de gloire », le « Créateur des extrémités de la terre » fut l’objet des traitements les plus ignominieux de la part de ses créatures. Il nous est présenté là comme Celui qui a été « méprisé et délaissé des hommes, homme de douleurs, et sachant ce que c’est que la langueur » (És. 53:3).

Malgré tous nos efforts pour saisir ces choses, notre compréhension restera toujours au-dessous de la réalité. La vie du Seigneur au milieu de son peuple avait été bienfaisante, tout imprégnée d’amour et d’humilité ! Rien ne décrit mieux son caractère que la parole prophétique : « Il ne criera pas, et il n’élèvera pas sa voix, et il ne la fera pas entendre dans la rue. Il ne brisera pas le roseau froissé, et n’éteindra pas le lin qui brûle à peine » (Ésaie 42:2, 3 ; Matt. 12:19, 20). Tous les cœurs auraient dû être attirés à lui. Mais, quoiqu’il fût venu chez les siens, « les siens ne l’ont pas reçu ». « Le monde ne l’a pas connu », bien qu’il eût « été fait par lui » (Jean 1:10, 11). Il était ici-bas « le premier-né de toute la création » (Col. 1:15), possédant des prérogatives que nul homme n’a pu ni ne pourra jamais s’arroger. Néanmoins ces gloires laissaient indifférent le cœur naturel, pour qui « il n’a ni forme, ni éclat ; quand nous le voyons, il n’y a point d’apparence en lui pour nous le faire désirer » (Ésaïe 53:2). Au lieu de recevoir l’adoration qui lui était due, il ne recueillit que le mépris et la haine. Il était « celui que l’homme méprise, celui que la nation abhorre » (Ésaïe 49:7). Il a dit lui-même, par l’Esprit prophétique : « Ceux qui me haïssent sans cause sont plus nombreux que les cheveux de ma tête... Pour mon amour, ils ont été mes adversaires.., ils m’ont rendu le mal pour le bien et la haine pour mon amour » (Ps. 69:4 ; 109:4, 5).

Tout cela ne fut pleinement manifesté qu’à partir du moment où « le Seigneur du ciel » fut « livré entre les mains des pécheurs » (Marc 14:41). Au cours de l’interrogatoire auquel le souverain sacrificateur soumit Jésus, un huissier avait ouvert la voie à la violence en lui donnant un soufflet (Jean 18:22, 23). Dès lors, chaque fois qu’ils en eurent l’occasion, ses bourreaux s’acharnèrent à le maltraiter et à le couvrir d’injures.

« Alors ils lui crachèrent au visage et lui donnèrent des soufflets ; et quelques-uns le frappèrent » (Matt. 26:67). Même les membres du sanhédrin, semble-t-il, s’associèrent à ces outrages ; ils en assumaient, en tout cas, la responsabilité. Mais nous discernons, derrière ces hommes, celui qui, en tant que Dieu le lui permettait, tenait tous les fils en sa main, « le chef de l’autorité de l’air, de l’esprit qui opère maintenant dans les fils de la désobéissance » (Éph. 2:2). Après avoir, au jardin de Gethsémané, lié les mains qui avaient guéri l’oreille de Malchus (Jean 18:12), ils couvrent maintenant les yeux qui venaient d’adresser un regard plein de compassion au disciple qui l’avait renié (Luc 22:64 ; Marc 14:65). Combien l’homme livré à Satan est passé maître dans l’art de manifester sa haine contre le Dieu d’amour !

Ils lui crachaient au visage. Par la bouche de Job, l’Esprit en avait parlé des siècles à l’avance : « Ils n’épargnent pas à ma face les crachats » (Job 30:10). Nous mesurons quelque peu l’opprobre qu’un tel traitement comporte, quand nous entendons Dieu déclarer lui-même, parlant de Marie devenue lépreuse : « Si son père lui eût craché au visage, ne serait-elle pas pendant sept jours dans la honte ? » (Nb. 12:14). Ils le frappaient de leurs mains, lui donnaient des soufflets et se moquaient de lui. Lui couvrant les yeux, ils s’écriaient : « Prophétise-nous, qui t’a frappé ? » le provoquant ainsi à déployer pour leur plaisir la puissance divine qu’il n’avait jamais employée qu’en faveur de ceux qui en avaient vraiment besoin. « Et ils disaient plusieurs autres choses contre lui en l’outrageant » ; oui, « ils ont déchiré et ils n’ont pas cessé » (Luc 22:65 ; Ps. 35:15). Ce dont ils l’accusaient faussement tout à l’heure, ils le font maintenant eux-mêmes et « ne tremblent pas en injuriant les dignités » (2 Pierre 2:10).

Quelle serait notre attitude, si nous étions victimes d’un pareil traitement ? Nous a-t-on jamais souffletés et craché au visage ? Supposé que ce fût le cas, sommes-nous alors demeurés silencieux et sereins, comme Celui que nous contemplons au centre de cette scène ignominieuse ? Pas une parole ne sort de ses lèvres. « Il a été opprimé et affligé, et il n’a pas ouvert sa bouche... comme une brebis muette devant ceux qui la tondent... Il a donné son dos à ceux qui frappaient et ses joues à ceux qui arrachaient le poil ; il n’a pas caché sa face à l’opprobre et aux crachats » (Ésaïe 53:7 ; 50:6). Nous n’ignorons point pour qui il endurait tout cela : « Car à cause de toi, j’ai porté l’opprobre, la confusion a couvert mon visage.., et les outrages de ceux qui t’outragent sont tombés sur moi » (Ps 69:7 et 9 ; Rom. 15:3).

C’est ainsi que s’acheva cette nuit douloureuse. Mais ses bourreaux ne laissent aucun répit à leur victime. « Au matin » (Marc 15:1), c’est-à-dire au lever du jour, les juges iniques apparaissent de nouveau sur la scène. « Et quand le jour fut venu, le corps des anciens du peuple, principaux sacrificateurs et scribes, s’assembla ; et ils l’amenèrent dans leur sanhédrin » (Luc 22:66). S’ils avaient, durant la nuit, « cherché quelque témoignage contre Jésus » (Marc 14:55), ils entendaient maintenant « tenir conseil contre lui pour le faire mourir » (Matt. 27:1). Comme nous l’avons vu, il s’agissait d’une brève séance, de pure forme, car sa condamnation était déjà arrêtée. Seul, Luc décrit cette scène.

Fondés sur le témoignage rendu, la nuit précédente, par le Seigneur Jésus, ils vont droit au but et lui déclarent : « Si toi, tu es le Christ, dis-le-nous » (Luc 22:67, 68). Israël, en tant que peuple, avait rejeté Christ. Ce n’était donc plus le moment, et il n’y avait plus de raison, d’examiner s’il était le Messie (le Christ). C’est pourquoi Jésus leur répond : « Si je vous le disais, vous ne le croiriez point ; et si je vous interroge, vous ne me répondrez point ou ne me laisserez point aller ». Mais, en tant que « fils de l’homme », c’est-à-dire objet de promesses qui dépassaient le cercle étroit d’Israël, il allait prendre en gloire la place qui lui appartenait « à la droite de la puissance de Dieu » (v. 69).

Les juges tirent aussitôt de cette déclaration une conclusion parfaitement exacte. Les lumières qu’ils possédaient les rendaient pleinement responsables de leurs actes. Ils avaient parlé du Christ ; lui, du fils de l’homme. Mais « ils dirent tous : Toi, tu es donc le Fils de Dieu ? Et il leur dit: Vous dites vous-mêmes que je le suis. Et ils dirent : Qu’avons-nous encore besoin de témoignage ? Car nous-mêmes nous l’avons entendu de sa bouche » (v. 70, 71). Quel que fût le titre qu’on lui donnât — Christ, fils de l’homme, Fils de Dieu — Jésus avait été rejeté par son peuple.

 

7                    La fin du traître (Matt 27:3-10)

« Alors Judas qui l’avait livré, voyant qu’il était condamné, ayant du remords... » (Matt. 27:3). Sans doute n’avait-il pas songé à une telle issue pour le Seigneur qui était toujours parvenu à échapper aux complots de ses ennemis. Il avait jugé l’occasion favorable de satisfaire une fois de plus sa cupidité. Celui qui s’engage dans le chemin du péché devient l’esclave de Satan, et lorsqu’il en récolte le fruit inattendu le réveil est terrible.

Le remords de Judas se produisit trop tard et n’était pas profond, comme c’est toujours le cas quand le cœur est effrayé des conséquences d’un péché plutôt que de la gravité de l’acte lui-même. « J’ai péché » (Matt. 27:4). Combien facilement les hommes prononcent ces mots sans vrai repentir devant Dieu ! Nous trouvons cette expression à plusieurs reprises dans l’Écriture (*), mais dans trois cas seulement Dieu discerne une réelle repentance et peut accorder son pardon (David, deux fois, et le prodigue). Dans toute sa marche, Judas avait manqué d’une véritable crainte de Dieu, et celle-ci lui fit défaut jusqu’à la fin, en dépit de sa déclaration. « J’ai péché en livrant le sang innocent ». Était-ce vraiment là tout son péché ? Celui qu’il avait trahi d’une manière si odieuse, n’était-il pas en droit d’attendre de son disciple une tout autre confession ?

 

(*) Le Pharaon (Ex. 9:27 ; 10:16) ; Balaam (Nb. 22:34) ; Acan (Josué 7:20) ; Saül (1 Sam. 15:24 et suiv. ; 26:21) ; David (2 Sam. 12:13 ; 24:10 et suiv. ; cf. Ps. 51:4) ; le fils prodigue (Luc 15:18 et 21) et Judas.

 

Nous ne voyons, en Judas, aucune « tristesse selon Dieu » (2 Cor. 7:10), comme ce fut le cas chez Pierre, mais seulement « la tristesse du monde qui opère la mort ». Satan remporte ainsi une double victoire : il avait atteint son but en ce qui concernait le Seigneur Jésus, et, d’autre part, il poussa au désespoir l’instrument dont il s’était servi. Judas « se retira, et s’en étant allé, il se pendit » (Matt. 27:5). Se référant à la prophétie de David, Pierre décrit le terrible jugement qui l’atteignit, lui et sa maison (Actes 1:16 et suiv. ; Ps. 109:6-20).

Judas avait jeté dans le temple, aux pieds des principaux sacrificateurs, « le salaire d’iniquité » (Matt. 27:3-5). Ni le remords de leur malheureux complice, ni le témoignage qu’il rend à l’innocence de Jésus ne touchent leurs cœurs insensibles. « Que nous importe ! tu y aviseras ». Une seule chose les préoccupe : l’emploi qu’il convenait de faire de l’argent rendu par le traître. « Ayant pris les pièces d’argent, ils dirent : Il n’est pas permis de les mettre dans le trésor sacré, puisque c’est le prix du sang » (Matt. 27:6). Voilà le cœur de l’homme ! Au lieu de juger son péché à la lumière divine, il se complaît dans l’observation d’une religion extérieure. Le passage sur lequel ils se fondaient sans doute (Deut. 23:18) fait ressortir leur dessein d’insulter le Seigneur même après sa mort, en mettant le prix de son sang au même niveau que « le salaire d’une prostituée et le prix d’un chien », qui « sont tous les deux en abomination à l’Éternel ».

« Et ayant tenu conseil, ils achetèrent avec cet argent le champ du potier, pour la sépulture des étrangers ; c’est pourquoi ce champ-là a été appelé Champ de sang, jusqu’à aujourd’hui » (Matt. 27:7, 8). Ils élevèrent ainsi, en quelque sorte, un monument à leur propre infamie, au su et au vu « de tous les habitants de Jérusalem » (Actes 1:19).

Lorsqu’il « ôta de devant lui le Saint d’Israël » (Ésaïe 30:8-14 ; Jér. 19:10-13) et se chargea ainsi de son sang, le peuple juif n’a-t-il pas fait du pays de la promesse un « Aceldama » ? N’a-t-il pas été dispersé parmi les nations, « brisé, comme on brise un vase de potier, qu’on casse sans ménagement, et dans ses fragments il ne se trouve pas un tesson » ? C’est cela que rappelle le champ du potier : un champ inculte et stérile sur lequel le potier jette ses rebuts et les fragments de ses vases brisés. Occupé par les nations, le pays d’Israël est devenu un lieu « pour la sépulture des étrangers ». Mais la terre entière est, elle aussi, un « champ du sang » et un « champ du potier ». Le sang du Fils de Dieu qui y a été répandu crie, aujourd’hui encore, vers le ciel. La création, sortie parfaite des mains de Dieu, est maintenant un champ couvert de ruines, un cimetière. Qu’est-ce que le croyant pourrait rechercher encore pour son cœur dans un tel monde ? Le Seigneur lui-même n’y a trouvé qu’une croix et une tombe — pensée bien propre à nous faire considérer cette scène passagère sous sa vraie lumière.

« Alors fut accompli ce qui avait été dit par Jérémie le prophète, disant : Et ils ont pris les trente pièces d’argent, le prix de celui qui a été évalué, lequel ceux d’entre les fils d’Israël ont évalué ; et ils les ont données pour le champ du potier » (*) (Matt. 27:9, 10). « Jette-le au potier, ce prix magnifique auquel j’ai été estimé par eux » (Zach. 11:12, 13). Seul Matthieu mentionne ce prix, attestant ainsi qu’Israël avait évalué son Messie au prix d’un serviteur tué par un bœuf (Ex. 21:32). Lorsque Dieu reprendra ses relations avec son peuple terrestre, le résidu reconnaîtra : « Il a été méprisé, et nous n’avons eu pour lui aucune estime » (Ésaïe 53:3).

 

(*) Cette parole de Jérémie ne nous a pas été transmise. Certains expliquent ainsi la difficulté soulevée par cette citation : dans la collection juive des écrits des prophètes, le livre de Jérémie venait en tête, de sorte que les Juifs avaient coutume, quand ils citaient un prophète, de dire « Jérémie ou l’un des prophètes » ou simplement « Jérémie » (voir Matt. 16:14). Toutefois, le passage de Zach. 11:12, 13 ne correspond pas exactement à la citation de Matt. 27:9, 10.

 

Le Seigneur Jésus « qui n’a pas regardé comme un objet à ravir d’être égal à Dieu, mais s’est anéanti lui-même », « vendit tout ce qu’il avait » afin d’acquérir la perle de très grand prix (Phil. 2:6 ; Matt. 13:46). « Notre Sauveur Jésus Christ.., s’est donné lui-même pour nous, afin qu’il nous rachetât de toute iniquité et qu’il purifiât pour lui-même un peuple acquis, zélé pour les bonnes œuvres » (Tite 2:14).

 

8                    Pilate

(Matt. 27:11-14 ; Marc 15:2-5 ; Luc 23:2-6 ; Jean 18:28-38).

 

« Ils mènent donc Jésus de chez Caïphe au prétoire (or c’était le matin) » (Jean 18:28). Le souverain sacrificateur et le sanhédrin, le gouverneur, Hérode le tétrarque, tous entrent en action de bon matin, avec une énergie qu’animait leur haine contre Dieu. Mais cela révèle aussi l’agitation fiévreuse qui s’était emparée des chefs du peuple. Les événements se précipitent ; la scène sur laquelle ils se déroulaient jusqu’alors change : de chez Caïphe, Jésus est conduit au prétoire, dans le palais du gouverneur romain.

« Et eux-mêmes, ils n’entrèrent pas au prétoire, afin qu’ils ne fussent pas souillés, mais qu’ils pussent manger la pâque ». De nouveau, nous voyons les Juifs préoccupés du « dehors de la coupe », alors qu’au-dedans ils étaient « pleins de rapine et de méchanceté » (Luc 11:39). Or que dit Dieu à ce sujet ? « Je hais, je méprise vos fêtes... Vos nouvelles lunes et vos assemblées, mon âme les hait ; elles me sont à charge, je suis las de les supporter » (Amos 5:21 ; Ésaie 1:14).

Le gouverneur, un homme habile, condescend à se rendre auprès des Juifs. « Pilate donc sortit vers eux, et dit : Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? Ils répondirent et lui dirent : Si cet homme n’était pas un malfaiteur, nous ne te l’eussions pas livré » (Jean 18:29, 30). Réponse inepte ! Pourquoi donc ne le jugeaient-ils pas selon leur loi ? La haine l’emporte sur leur orgueil national : « Il ne nous est pas permis de faire mourir personne » (v. 31). En effet, ce n’était pas de la lapidation, peine prévue par leur loi (Lév. 24:16), mais sur la croix qu’il devait mourir, « afin que fût accomplie la parole que Jésus avait dite, indiquant de quelle mort il devait mourir » (Jean 18:32 ; 3:14 ; 12:32, 33). Tout concourt à l’accomplissement des Écritures, même les plus infâmes desseins des hommes.

Devant Pilate, les Juifs élèvent contre Jésus d’autres accusations que devant le sanhédrin. « Nous avons trouvé cet homme pervertissant notre nation et défendant de donner le tribut à César » (Luc 23:2). Or c’était juste le contraire de ce que Jésus avait enseigné (Luc 20:22 et suiv.). Ils ajoutent ensuite : « Il soulève le peuple, enseignant par toute la Judée, ayant commencé depuis la Galilée jusqu’ici » (Luc 23:5). Ces accusations sont tout aussi mensongères que les témoignages qui avaient été invoqués contre Jésus devant le sanhédrin. Tout cela obéit à un plan concerté : devant le tribunal religieux ils lui imputent des crimes religieux et des crimes politiques devant le représentant de l’empereur.

Néanmoins, ici encore, ce ne sont point leurs accusations fallacieuses qui amènent la condamnation de Jésus, mais bien le témoignage qu’il rend lui-même à la vérité. Ils invoquent un troisième chef d’accusation contre lui : « Il se dit lui-même être le Christ, un roi ». Pilate, se référant pour la première fois à leurs paroles, l’interroge alors : « Toi, tu es le roi des Juifs ? Et répondant, il lui dit : Tu le dis » (Luc 23:2, 3 ; Matt. 27:11 ; Marc 15:2 ; Jean 18:33). Défenseur du pouvoir romain, le gouverneur ne saurait tolérer qu’un citoyen de ce peuple assujetti se proclame roi. Le Seigneur n’avait pas hésité à revendiquer son titre de Fils de Dieu devant les principaux sacrificateurs ; il ne craint pas non plus de proclamer sa royauté sur Israël en présence du gouverneur romain.

Il aurait pu dissiper aisément les craintes de Pilate en invoquant ses enseignements et ses actes. N’avait-il pas dit aux Juifs : « Rendez donc les choses de César à César » (Luc 20:25) ? Ne s’était-il pas « retiré sur la montagne, lui tout seul », lorsqu’ils voulaient l’enlever afin de le faire roi ? (Jean 6:15). Non, entre Rome et le Seigneur Jésus, il n’y avait point de conflit, mais bien entre lui et Israël, à l’égard duquel il ne pouvait en aucun cas renoncer à ses prérogatives royales. Il se devait de rendre témoignage à la vérité et de faire « la belle confession devant Ponce Pilate » (1 Tim. 6:13).

« Et les principaux sacrificateurs l’accusaient de beaucoup de choses » (Marc 15:3). Si le Seigneur rend témoignage à la vérité, il ne prononce pas une parole pour se justifier des fausses accusations que les Juifs portent contre lui. « De quoi ceux-ci témoignent-ils contre toi ? » lui avait demandé le souverain sacrificateur. « N’entends-tu pas de combien de choses ils portent témoignage contre toi ? » lui dit Pilate. « Et il ne lui répondit pas même un seul mot ; en sorte que le gouverneur s’en étonnait fort » (Matt. 26:62 ; 27:13, 14).

Pilate éprouve, en face de son prisonnier, des sentiments qu’il n’a sans doute jamais éprouvés. Il avait réprimé durement maintes révoltes. Il était allé jusqu’à mêler le sang des Galiléens avec leurs sacrifices (Luc 13:1), il n’avait pas craint de « profaner le lieu secret de l’Éternel » en y faisant entrer « les violents » (Éz. 7:22). Que signifiait donc cette manifestation dans laquelle les Juifs eux-mêmes accusaient un de leurs concitoyens, dont il doit dire « aux principaux sacrificateurs et aux foules : Je ne trouve aucun crime en cet homme » (Luc 23:4) ? Qui donc était ce prévenu silencieux, si différent de ceux qui avaient comparu jusqu’alors devant lui ? Il se disait roi ? « Toi, tu es le roi des Juifs ? » Le Romain, pourtant peu enclin à s’émouvoir, était saisi d’un étonnement mêlé d’inquiétude.

L’évangile de Jean rapporte d’une manière détaillée le remarquable entretien qui se déroule entre le Fils de Dieu et le gouverneur. Les Juifs ne voulant pas pénétrer dans le prétoire, Pilate se trouve seul, face à face avec Jésus, le roi des Juifs, le Seigneur de gloire (Jean 18:33). Quel tête-à-tête mémorable pour Pilate ! Toujours plein de grâce, le Seigneur s’efforce d’ouvrir son cœur à la vérité. Il lui demande tout d’abord : « Dis-tu ceci de toi-même, ou d’autres te l’ont-ils dit de moi ? Pilate lui répondit : Suis-je Juif, moi ? Ta nation et les principaux sacrificateurs t’ont livré à moi » (Jean 18:34, 35).

Mais qu’avait-il donc fait ? Pilate, désireux d’établir la lumière, le demande à Jésus. « Jésus répondit : Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu, afin que je ne fusse pas livré aux Juifs ; mais maintenant mon royaume n’est pas d’ici » (Jean 18:35, 36). « Mon royaume n’est pas de ce monde » — voilà tout ce qu’il « avait fait » ! Tel était le motif réel de la haine des hommes contre lui ! Aujourd’hui comme alors, l’homme aimerait faire descendre Dieu jusqu’à lui, mais n’entend pas se laisser amener jusqu’à Dieu. Il veut bien recevoir des bénédictions de la part de Dieu, mais il n’est pas disposé à s’en reconnaître indigne et à prendre la place qui lui appartient, celle de pécheur perdu. Il attend que Dieu accomplisse ses promesses, mais il ne veut pas accepter le jugement que Dieu prononce sur lui-même ni rompre avec le péché. Comme il ne pouvait y avoir de communion entre l’homme pécheur et Dieu, le royaume promis dut prendre une forme qui « n’était pas de ce monde », sinon le monde aurait aimé « ce qui aurait été sien » (Jean 15:19), et il n’en aurait pas rejeté le roi.

Le Seigneur montre à ce païen le chemin qui pourrait le conduire à la connaissance de la grâce révélée en Lui. « Mon royaume n’est pas de ce monde » — là était le secret de sa Personne. Le fait que ses serviteurs n’avaient pas combattu pour lui — il le leur avait même défendu — en d’autres termes le fait qu’il comparaissait volontairement devant Pilate, était une preuve éclatante de sa mission supraterrestre. Si Pilate avait aspiré à autre chose qu’aux vanités du monde, il aurait eu là l’occasion — et Dieu la lui offrait — de trouver la réponse à ses besoins, à la source même du bonheur.

Un instant, il semblerait qu’il l’a compris, car il écoute avec sérieux les paroles de Jésus. La seconde question qu’il lui pose trahit un étonnement plus profond encore : « Tu es donc roi ? Jésus répondit : Tu le dis que moi je suis roi » (Jean 18:37). Alors le Seigneur continue à lui révéler le mystère de sa Personne. Il lui parle de sa naissance, de sa venue dans ce monde et du but de cette venue. « Moi, je suis né pour ceci, et c’est pour ceci que je suis venu dans le monde, afin de rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité, écoute ma voix ».

Cette parole est bien digne de Celui par qui vinrent « la grâce et la vérité » et qui était la parfaite révélation du Père (Jean 1:17, 18). La grâce est offerte à tous les hommes. Elle s’adresse tant à la pécheresse de Samarie qu’au respectable Nicodème, tant à l’humble pêcheur de Galilée qu’au puissant gouverneur de Rome. Mais si elle est offerte à tous, ce n’est jamais au détriment de la vérité. Et « quiconque est de la vérité, écoute sa voix ». Un petit nombre l’a écoutée, tel Nathanaël, « vrai Israélite, en qui il n’y avait pas de fraude » (Jean 1:48). Mais parce que la masse du peuple n’était pas de la vérité, mais « du père du mensonge » le diable, « sa parole n’eut pas d’entrée auprès d’eux » et ils « n’entendaient pas son langage » (Jean 8:37-47).

Pilate l’entendit-il ? Saisit-il la grâce qui lui était ainsi offerte ? Hélas ! plutôt que d’accepter l’offre du Sauveur, il use d’un faux-fuyant : « Qu’est-ce que la vérité ? » (Jean 18:38). Cette question manifeste l’état de son cœur, et tout son comportement reflète cet état. « Et ayant dit cela, il sortit encore vers les Juifs », laissant échapper ainsi pour toujours l’occasion unique qui s’était offerte à lui de venir à la lumière.

 

9                    Hérode

(Luc 23:6-12)

 

Bien que Pilate ne fût pas disposé à ouvrir son cœur à la vérité, il était convaincu de l’innocence de Jésus et de l’inanité des accusations portées contre lui. C’est pourquoi il s’efforce de se dessaisir de cette cause embarrassante. En mentionnant la Galilée, province constamment en effervescence, les Juifs espéraient déterminer le gouverneur à agir conformément à leurs désirs. Le résultat fut exactement contraire. « Pilate, ayant entendu parler de la Galilée, demanda si l’homme était Galiléen. Et ayant appris qu’il était de la juridiction d’Hérode, il le renvoya à Hérode qui, en ces jours-là, était lui-même aussi à Jérusalem » (Luc 23:6, 7).

Alors que Pilate était gouverneur de la Judée, Hérode régnait sous la sujétion de Rome, avec le titre de tétrarque, sur la Galilée (*). C’est lui qui avait fait décapiter Jean le baptiseur. Les évangiles le mentionnent à plusieurs reprises en lui donnant le titre de roi. En Luc 13:32, le Seigneur l’appelle « ce renard », sans doute parce qu’Hérode avait fait répandre le bruit qu’il le ferait mourir, ruse par laquelle il pensait le tenir éloigné de Jérusalem. Aucun passage ne confirme qu’il ait eu réellement l’intention de mettre sa menace à exécution, et pas davantage le passage qui retient maintenant notre attention.

 

(*) Hérode Antipas, nom sous lequel il est entré dans l’histoire, était fils d’Hérode le Grand, qui ordonna le massacre des enfants de Bethléhem (Matt. 2). À la mort de ce dernier, la Palestine fut subdivisée en quatre provinces. Mais peu après, en l’an 6 de notre ère, l’un des tétrarques, Archelaüs de Judée (Matt. 2:22) fut remplacé par un gouverneur (ou procurateur) romain siégeant à Césarée. Ponce Pilate occupait ce poste depuis l’an 26 de notre ère.

 

C’était un homme vivant dans le péché, léger et dénué de tout scrupule, et seule sa curiosité détermina son comportement envers le Seigneur Jésus au cours de l’unique entretien qu’il eut avec lui. « Et Hérode, voyant Jésus, se réjouit fort ; car il y avait longtemps qu’il désirait de le voir, parce qu’il avait entendu dire plusieurs choses de lui ; et il espérait voir quelque miracle opéré par lui » (Luc 23:8). « Il se réjouit fort » ; ces mots montrent à quel degré d’indifférence le cœur humain peut atteindre. En effet, l’aspect de « l’homme de douleurs » ne pouvait faire se réjouir quiconque possédait encore le moindre sentiment d’humanité.

Quelle sollicitude Dieu avait manifestée envers cet Hérode ! Il lui avait envoyé d’abord Jean le baptiseur ; celui-ci lui avait fait souvent entendre la vérité, il le reprenait « à cause de toutes les choses méchantes qu’il avait faites » et auxquelles il ajouta encore « celle de le mettre en prison », sur les instances d’Hérodias (Luc 3:19, 20). Mais « il craignait Jean, le sachant homme juste et saint.., et lorsqu’il l’avait entendu, il faisait beaucoup de choses et il l’écoutait volontiers ». Il fut donc « très attristé »quand, contraint d’aller jusqu’au bout dans le chemin du mal où il s’était engagé, il n’eut plus d’autre issue que de faire mourir le fidèle témoin qui n’avait cessé de l’avertir (Marc 6:19, 20, 26).

Aussi sa conscience le tourmentait-elle et « il était en perplexité » quand « il ouït parler de toutes les choses qui étaient faites » par Jésus. Il disait à ses serviteurs : « C’est Jean le baptiseur ; il est ressuscité des morts, et c’est pourquoi les miracles s’opèrent par lui » (Luc 9:7 et suiv. ; Matt. 14:1, 2). On parlait de Jésus jusque dans son entourage. Nous lisons en Luc 8:3 que « Jeanne, femme de Chuzas intendant d’Hérode » ayant été guérie par le Seigneur Jésus, le suivait et le servait. Un frère en vue de l’assemblée d’Antioche, Manahem, avait été nourri (et probablement élevé) avec lui (Actes 13:1). Mais la semence qui avait été répandue dans le cœur d’Hérode y avait été étouffée par les épines, et les « convoitises à l’égard des autres choses » (Marc 4:19) avaient empêché la Parole divine d’opérer une œuvre profonde en lui.

Déjà durant le ministère de Jésus, « il cherchait à le voir » (Luc 9:9), et nous venons de lire qu’il y avait « longtemps qu’il désirait de le voir, parce qu’il avait entendu dire plusieurs choses de lui » (23:8). Pour quelle raison ? Parce qu’il « espérait voir quelque miracle opéré par lui ». Son égarement était tel qu’il pensait trouver en Jésus quelque thaumaturge propre à satisfaire son inlassable besoin de distraction.

Céder tant soit peu à de tels mobiles eût été indigne de Celui qui, quoique humilié, restait constamment égal à lui-même. « Il l’interrogea longuement ; mais il ne lui répondit rien » (Luc 23:9), quels que fussent les nouveaux outrages que ce silence dût lui attirer et la colère des « principaux sacrificateurs et des scribes » qui l’accusaient « avec véhémence ». « Et Hérode, avec ses troupes, l’ayant traité avec mépris et s’étant moqué de lui, le revêtit d’un vêtement éclatant et le renvoya à Pilate » (v. 10, 11). Tous s’unissaient dans leurs outrages : « Hérode avec ses troupes », de même que « Pilate et Hérode qui devinrent amis entre eux ce même jour » (v. 12). La haine contre Dieu semble hélas ! unir les hommes d’un lien plus puissant que l’amour qu’il a mis dans le cœur des siens.

Le « vêtement éclatant » de blancheur dont Hérode a, apparemment, revêtu lui-même le Seigneur Jésus, était porté par ceux qui briguaient une charge publique élevée. Par ce geste, Hérode voulait donc tourner le Seigneur Jésus en dérision et, aussi, corroborer l’accusation des Juifs qui avaient déclaré : « Il se dit lui-même être le Christ, un roi ». Or le Seigneur ne « briguait » pas la royauté : il possédait des prérogatives divines qu’il ne pouvait renier. Il avait le pouvoir de les revendiquer sans délai, mais il patientait, et patiente aujourd’hui encore dans sa grâce « jusqu’à ce que la plénitude des nations soit entrée » (Rom. 11:25). Alors il reviendra sur cette terre « avec puissance et une grande gloire » (Luc 21:27). Alors il ne sera plus « celui que la nation abhorre, le serviteur de ceux qui dominent » mais « des rois verront, et se lèveront — des princes, et ils se prosterneront » (Ésaïe 49:7). « Voici, mon serviteur agira sagement ; il sera exalté et élevé, et placé très haut. Comme beaucoup ont été stupéfaits en te voyant,... ainsi il fera tressaillir d’étonnement beaucoup de nations ». S’il a supporté en silence les moqueries du roi Hérode, alors « des rois fermeront leur bouche en le voyant » (Ésaïe 52:13 et suiv.). Plus nous nous efforçons de le suivre, par la foi, dans les profondeurs de son abaissement, plus nous nous réjouissons à la pensée que, bientôt, nous serons, avec tous ses rachetés, les témoins de son glorieux triomphe.

 

10               Barabbas ou Jésus ?

(Matt. 27:15-26 ; Marc 15:6-15 ; Luc 23:13-25 ; Jean 18:39, 40)

 

La lutte entre les ténèbres et la lumière, dont nous sommes témoins, confirme la vérité énoncée au début de l’évangile de Jean : « La vraie lumière était celle, qui, venant dans le monde, éclaire tout homme » (1:9). Qu’il s’agisse de Judas ou des autres disciples, des principaux sacrificateurs, des anciens, des scribes et du sanhédrin tout entier, ou de Pilate et d’Hérode, ou, comme nous allons le voir, du peuple juif, tous manifestent le véritable état de leur cœur lorsqu’ils sont placés sous les rayons de la « vraie lumière ».

Quand Pilate sort du prétoire, une rumeur assourdissante frappe ses oreilles. « La foule, poussant des cris, se mit à lui demander de faire comme il leur avait toujours fait » (Marc 15:6-8). En effet, il avait coutume « de leur relâcher à la fête un prisonnier, lequel que ce fût qu’ils demandassent ». Or, outre le Seigneur Jésus, il y avait Barabbas, « détenu avec ses compagnons de sédition, lesquels, dans la sédition, avaient commis un meurtre ». En faveur duquel des deux prisonniers le peuple allait-il invoquer la grâce du gouverneur ? Quant à Pilate, cette coutume va lui fournir l’échappatoire souhaitée ; du moins l’espère-t-il (Luc 23:17).

« Pilate ayant assemblé les principaux sacrificateurs, et les chefs, et le peuple, leur dit : Vous m’avez amené cet homme comme détournant le peuple, et voici, l’ayant examiné devant vous, moi je n’ai trouvé aucun crime dans cet homme quant aux choses dont vous l’accusez, ni Hérode non plus, car je vous ai renvoyés à lui ; et voici, rien n’a été fait par lui qui soit digne de mort » (Luc 23:13-15). Comme il l’avait déjà déclaré précédemment (v. 4), il était convaincu de l’innocence de Jésus. Hérode, lui aussi, avait montré, par la manière dont il l’avait renvoyé à Pilate, qu’il considérait ce prétendu « rival » comme absolument inoffensif et insignifiant. C’est pourquoi Pilate redoute de se couvrir de ridicule en condamnant un tel homme. « L’ayant donc châtié, dit-il aux Juifs, je le relâcherai » (v. 16).

Il compte, pour déterminer la masse à s’incliner, sur l’autorité qui s’attache à sa fonction, ainsi que sur l’appui des nombreux partisans de Jésus. C’était justement le succès de Jésus auprès des foules qui avait provoqué la jalousie des chefs du peuple. « Car il savait qu’ils l’avaient livré par envie » (Matt. 27:18). Espérant diviser les esprits, il demande : « Voulez-vous donc que je vous relâche le roi des Juifs ?... Lequel voulez-vous que je vous relâche, Barabbas, ou Jésus qui est appelé Christ » ? (Jean 18:39 ; Matt. 27:17).

Jamais aucun peuple n’avait eu auparavant ni n’aura à prendre à l’avenir une telle décision. Cet instant marquait donc un tournant dans l’histoire de l’humanité : se prononcerait-elle pour ou contre Christ ? Lorsque les principaux sacrificateurs et les anciens furent appelés à statuer sur le sort de Jésus, il n’était pas douteux qu’ils iraient jusqu’au bout de leurs criminels desseins. De même, il n’est pas très surprenant que Pilate et Hérode, ces deux potentats sans conscience, aient méprisé les droits les plus sacrés de la personne. Mais maintenant, le peuple lui-même — son peuple —, sur lequel des deux prisonniers va-t-il porter son choix ?

Barabbas ou Jésus ?

Puisque la décision était, humainement parlant, encore si douteuse, ne devait-on pas s’attendre qu’elle fût favorable au Nazaréen méprisé ? Dès le début de son ministère, de grandes foules n’avaient cessé de le suivre, de toutes les régions du pays (Matt. 4:25 ; 8:1 ; 19:2 etc.). Les gens se pressaient tellement autour de lui « qu’ils se foulaient les uns les autres » ; « ils se jetaient sur lui pour entendre la parole de Dieu » ; « ils allaient et venaient » de sorte que Jésus et ses disciples « n’avaient pas même le loisir de manger » ; Jésus avait peine à se retirer à l’écart, car « les foules le recherchaient et vinrent jusqu’à lui ; et elles le retenaient, afin qu’il ne s’en allât point d’auprès d’elles » (Marc 1:37, 45 ; 2:2 ; 3:9, 10, 20 ; 5:24, 31 ; 6:31 et suiv., 54 et suiv. ; Luc 4:42 ; 5:1 ; 12:1 ; etc.).

Avec quel amour pourvoyait-il à leurs besoins ! Que de fois lisons-nous qu’il était « ému de compassion pour elles » (Matt. 9:36 ; 15:32 ; etc.) ! Il les enseignait, les nourrissait, guérissait les malades et les infirmes, et délivrait « tous ceux que le diable avait asservis à sa puissance ». Tous ces bienfaits n’avaient-ils pas touché le cœur du peuple ? Certes ! Nous lisons, en effet : « La grande foule prenait plaisir à l’entendre... Tous lui rendaient témoignage... Les foules s’étonnaient de sa doctrine... Elles glorifiaient Dieu... disant : Il ne s’est jamais rien vu de pareil en Israël » (Marc 12:37 ; Luc 4:22 ; Matt. 7:28, 29 ; 9:8, 33 ; 15:30, 31). Oui, le peuple reconnaissait que « celui-ci était véritablement le prophète qui vient dans le monde », et ils voulaient « le faire roi » (Jean 6:14, 15).

Quel imposant cortège traverse un jour Jéricho, montant à Jérusalem, pour se rendre à la fête ! (Marc 10:46 ; Luc 19:3). Quelle entrée solennelle il fit dans la sainte ville ! « Une immense foule étendit ses vêtements sur le chemin... Et les foules qui allaient devant lui, et celles qui suivaient, criaient, disant : Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna dans les lieux très-hauts ! » (Matt. 21:8 et suiv. ; Jean 12:12 et suiv.). « Toute la ville fut émue » et sortit au-devant de lui. Il est compréhensible que les principaux sacrificateurs et les pharisiens aient craint la foule et dit entre eux : « Vous voyez que vous ne gagnez rien ; voici, le monde est allé après lui » (Marc 12:12 ; 14:2 ; Luc 22:2 ; Jean 12:19).

La question de Pilate provoque, semble-t-il, une certaine hésitation parmi la foule. Mais avant même qu’elle réponde, Dieu lui accorde un instant de réflexion. Voici qu’on remet à Pilate un message de la part de sa femme, disant : « N’aie rien à faire avec ce juste ; car j’ai beaucoup souffert aujourd’hui à son sujet dans un songe » (Matt. 27:19). Les principaux sacrificateurs et les anciens, toujours prêts à la riposte, profitent de ce moment de répit. Ils « excitèrent le peuple à demander que plutôt il leur relâchât Barabbas », ils « persuadèrent aux foules de demander Barabbas et de faire périr Jésus » (Marc 15:11 ; Matt. 27:20). « Mon peuple ! ceux qui te conduisent te fourvoient, et détruisent le chemin de tes sentiers » (Ésaïe 3:12). « Plutôt Barabbas » — peut-on trouver une parole définissant mieux l’état moral des chefs d’Israël ? Mais le peuple se montra digne de ses chefs.

Il faut peu de chose, on le sait, pour déterminer une foule à réagir de telle ou telle manière. Il en fut de même ce jour-là. Et lorsque Pilate, impressionné par le songe de sa femme et fortifié dans son intention, pose de nouveau la même question à la foule, un cri unanime s’élève vers lui, un cri de haine qui accroît sa perplexité : « Toute la multitude s’écria ensemble, disant : Ôte celui-ci, et relâche-nous Barabbas... » (Luc 23:18 ; Jean 18:40). Avec une précision impitoyable, la Parole constate l’unanimité du peuple tout entier dans le rejet de Jésus, son Messie, le Fils de Dieu.

« Non pas celui-ci, mais Barabbas. Or Barabbas était un brigand ». C’est tout ce que Jean déclare au sujet de celui sur qui le peuple vient de porter son choix ; mais c’est suffisant. Les autres évangiles complètent le tableau en précisant qu’il avait commis un meurtre au cours d’une sédition organisée et exécutée avec la complicité de plusieurs autres malfaiteurs. Il s’était acquis ainsi — comme on le constate en pareil cas aujourd’hui encore — une grande célébrité ; c’était « un prisonnier fameux » (Marc 15:7 ; Luc 23:19, 25 ; Matt. 27:16). De son nom — « fils du père » — émane une certaine ironie diabolique, comme si Satan avait voulu opposer au « Fils unique du Père » l’image difforme d’un Barabbas. Et parce que les Juifs avaient « pour père le diable », ils faisaient « les convoitises de leur père » (Jean 8:44). Ici encore, le monde aima « ce qui était sien ». Ils demandèrent « qu’on leur accordât un meurtrier » et « renièrent le saint et le juste devant Pilate, lorsqu’il avait décidé de le relâcher » (Actes 3:13, 14).

Une fois engagé dans cette voie, le peuple donne libre cours à sa furie sanguinaire contre l’Homme silencieux, leur innocente victime. « Pilate leur dit : Que ferai-je donc de Jésus, qui est appelé Christ ? » (Matt. 27:22). Malheureux Pilate ! Il subit le triste sort de tous ceux qui refusent la grâce offerte par Dieu : ils ne savent que faire de Jésus. « Mais ils s’écriaient, disant : « Crucifie, crucifie-le ! » (Luc 23:21). Pilate fait une dernière tentative, certes bien timide pour un homme revêtu d’une telle puissance et de telles responsabilités : « Mais quel mal a-t-il fait ? Je n’ai rien trouvé en lui qui soit digne de mort ; l’ayant donc châtié, je le relâcherai » (v. 22). Mais les faibles velléités humanitaires qui subsistaient encore en lui sont submergées par la vague de haine qui déferle jusqu’aux marches de son tribunal. « Ils s’écriaient encore plus fort... Ils insistaient à grands cris, demandant qu’il fût crucifié. Et leurs cris et ceux des principaux sacrificateurs eurent le dessus » (Matt. 27:23 ; Lue 23:23).

Le cours des événements atteint de nouveau un point culminant. Cette furie aveugle, cette tempête de cris haineux, ces passions déchaînées, ce déferlement de violence se dressaient contre Celui que Dieu avait envoyé ici-bas pour sauver des hommes perdus. N’avait-il pas aussi des droits à invoquer sur « sa vigne », sur ce peuple ? Avec quelle persévérante sollicitude s’était-il occupé de lui ! Hélas, tous ses soins avaient été vains. « Ayant donc encore un unique fils bien-aimé, il le leur envoya, lui aussi, le dernier, disant : Ils auront du respect pour mon fils » (Marc 12:6). Mais quelle amère déception ! Ils n’eurent aucun respect pour lui, la parfaite révélation de son amour, et manifestèrent toute l’infamie dont leur cœur était rempli. Quel triste état que celui de l’homme naturel ! Ceux qui, peu de jours auparavant, avaient crié : « Hosanna », criaient aujourd’hui : « Crucifie, crucifie-le ! » Leur enthousiasme débordant s’était mué en une rage meurtrière. Pourtant, rien ne justifiait un tel revirement. Quel mal avait-il fait ? Pilate lui-même pose cette question. À sept reprises, il atteste, lui, le païen sans scrupules, devant tout le peuple — le peuple de Dieu — que celui qu’ils accusent de crimes dignes de mort est entièrement innocent (*).

 

(*) Dieu, qui avait maintes fois rendu témoignage, du haut des cieux, à son Fils bien-aimé, demeure silencieux (nous savons pourquoi) durant ces heures tragiques. Mais il prend soin que l’innocence du Seigneur soit attestée à onze reprises par des hommes, durant sa passion (Judas, Matt. 27:4 ; Pilate, Luc 23:4, 14, 15, 22 ; Jean 19:4, 6 ; Matt. 27:24 ; la femme de Pilate, Matt. 27:19 ; le brigand et le centurion, Luc 23:41, 47).

 

Vaincu, désemparé, Pilate cède. « Voyant qu’il ne gagnait rien... » Ces mots font ressortir sa faiblesse de caractère. « ... Mais que plutôt il s’élevait un tumulte » (Matt. 27:24), ce qui risquait de lui coûter sa position. Homme pusillanime, il veut « contenter la foule » (Marc 15:15). Aussi, « Pilate prononça que ce qu’ils demandaient fût fait » (Luc 23:24). Puis « il prit de l’eau et se lava les mains devant la foule, disant : Je suis innocent du sang de ce juste ; vous, vous y aviserez ». Ce geste, qui ne faisait que confirmer sa lâcheté, provoque de la part du peuple l’horrible imprécation qui montre à quel degré d’infamie Satan l’avait amené. « Et tout le peuple, répondant, dit : Que son sang soit sur nous et sur nos enfants » (Matt. 27:24, 25). Dieu, qui entend nos paroles et nous prend au mot, accorda encore un délai de quarante ans à Israël pour se repentir et croire à l’Évangile. Ceux qui persévérèrent dans leur impénitence, subirent la malédiction qu’ils avaient appelée eux-mêmes sur leur tête (*). Aujourd’hui encore, ce peuple malheureux et aveuglé demeure sous cette malédiction, jusqu’à ce que les terribles jugements de la grande tribulation accomplissent « son temps de détresse » (Matt. 24:9 et suiv. ; Ésaïe 40:2).

« Alors il leur relâcha Barabbas... Et il relâcha celui qui, pour sédition et pour meurtre, avait été jeté en prison ;... et il livra Jésus à leur volonté » (Mat. 27:26 ; Luc 23:25).

 

(*) Un million de Juifs furent massacrés par les Romains lors de la destruction de Jérusalem, en l’an 70.

 

11               Voici l’homme !

(Matt. 27:26-30 ; Marc 15:15-19 ; Jean 19:1-6)

 

À l’instant même où Barabbas, le brigand, fut libéré, Jésus dont le plus haut magistrat du pays venait de proclamer solennellement l’innocence, fut livré aux bourreaux. « Alors donc Pilate prit Jésus et le fit fouetter » (Jean 19:1). La plume inspirée des évangélistes se refuse à transcrire autre chose que le fait dans sa rigoureuse sobriété. Mais le Psalmiste, lui, nous dit : « Des laboureurs ont labouré mon dos, ils y ont tracé leurs longs sillons » (Ps. 129:3) (*). Le Seigneur, annonçant ses souffrances aux disciples mentionne spécialement la flagellation, ce qui montre combien il était sensible à ce supplice ignominieux et douloureux.

 

(*) Aux lanières du fouet étaient fixés des morceaux de plomb ou même de fortes pointes barbelées. La flagellation entraînait souvent l’évanouissement et la mort du supplicié. Elle n’était infligée, en cas de crucifixion, qu’aux condamnés ayant commis des crimes particulièrement graves.

 

Mais ce n’est pas tout. Après avoir été exposé, hors du prétoire, à la haine et au mépris de son peuple, le Seigneur allait subir, à l’intérieur du tribunal, d’autres outrages de la part des soldats romains. « Alors les soldats du gouverneur, ayant emmené Jésus au prétoire, assemblèrent contre lui toute la cohorte » (Matt. 27:27). Combien le cœur de l’homme est pervers ! Il prend plaisir, semble-t-il, à faire souffrir particulièrement les êtres sans défense. « Leurs œuvres sont des œuvres d’iniquité, et des actes de violence sont dans leurs mains. Leurs pieds courent au mal et se hâtent pour verser le sang innocent ; ... ils ont perverti leurs sentiers ; quiconque y marche ne connaît pas la paix » (És. 59:6-8). Le Fils de Dieu, lui aussi, en fit la douloureuse expérience, lorsque, par amour, il marcha dans les sentiers des hommes.

« Et lui ayant ôté ses vêtements (ainsi qu’ils l’avaient fait déjà auparavant), ils lui mirent un manteau d’écarlate » — et à ce vêtement, par lequel ils tournaient en dérision la dignité royale de leur victime, ils ajoutent une couronne d’épines et un roseau dans sa main droite, en guise de sceptre. Puis, fléchissant les genoux devant lui, ils se moquent de lui, disant : « Salut, roi des Juifs ! » tout en lui donnant des soufflets (Matt. 27:28, 29 ; Jean 19:3). Les violences de la nuit précédente se répètent. La méchanceté et la brutalité des soldats païens ne le cèdent en rien à celles des principaux sacrificateurs et de leurs serviteurs. La bassesse et la lâcheté de leurs actes éclatent d’autant plus qu’ils s’exerçaient envers un homme sans défense et qui renonçait volontairement à toute résistance.

En effet, le Seigneur Jésus a-t-il levé la main pour détourner les coups ? A-t-il prononcé une parole de puissance ? Pourtant, le moment n’était-il pas venu pour lui d’appeler « plus de douze légions d’anges », contre « toute la cohorte » ? Mais non ! Lui qui, au début de ce chemin douloureux, avait, d’un seul mot, fait reculer et tomber à terre ses adversaires, préféra subir tous les outrages plutôt que de sortir du chemin de l’obéissance envers son Père. « Il s’est abaissé lui-même, étant devenu obéissant jusqu’à la mort » (Phil. 2:8). Sa patience a eu « son œuvre parfaite » (Jacq. 1:4). Chef de la foi, il en est devenu aussi le consommateur, « lequel, à cause de la joie qui était devant lui, a enduré la croix ayant méprisé la honte » (Héb. 12:2).

Le gouverneur païen lui-même, convaincu de l’innocence de son prisonnier, mais trop lâche pour agir selon cette conviction, ne peut se soustraire à l’impression profonde que produisent en lui la fermeté inébranlable du Seigneur et la dignité avec laquelle il subissait tous les outrages. Pilate, dans une dernière tentative, sort une nouvelle fois. Serait-il possible de mettre un terme à cette scène cruelle ? Le peuple renoncerait-il peut-être enfin à demander la mort de Jésus ? Il leur dit : « Voici, je vous l’amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun crime. Jésus donc sortit dehors, portant la couronne d’épines et le vêtement de pourpre » (Jean 19:4, 5).

« Voici, je vous l’amène dehors » — « Jésus donc sortit dehors... » Sommes-nous sensibles au langage émouvant de la Parole inspirée ? Aurions-nous pu, dans une telle situation, agir comme le Seigneur ? L’horreur de ce qui venait de se passer ne nous aurait-elle pas plutôt brisés ? N’aurions-nous pas refusé d’être offerts en spectacle, dans une condition si humiliante ? Le Seigneur Jésus n’agit point ainsi. « Comme un sourd qui n’entend pas, comme un muet qui n’ouvre pas la bouche » (Ps. 38:13), il sortit dehors, portant la couronne d’épines et le vêtement de pourpre. C’est dans cet état que Pilate le présente à la foule, en disant : « Voici l’homme ! » (v. 5). Cette scène est bien l’une des plus poignantes de ce récit. Voici l’homme ! Cher lecteur, vous êtes-vous jamais arrêté devant Celui qui était ainsi désigné ?

Oui, c’était un homme qui se tenait là, mais non point un homme tel que nous. Des flots de sang avaient été répandus sur la terre, depuis que le péché l’avait placée sous la malédiction, mais les « figures » et les « ombres » n’avaient pu ôter cette malédiction, ni changer l’état de l’homme tombé loin de Dieu. Il était impossible que le sang de taureaux et de boucs ôtât les péchés (Héb. 10:1-4). L’homme ne pouvait retrouver le chemin du paradis perdu. Aucun pont n’avait été jeté sur l’abîme qui le séparait de son Créateur. L’état de l’homme était désespéré.

C’est alors que retentit la glorieuse déclaration ; « Voici, je viens — il est écrit de moi dans le rouleau du livre — pour faire, ô Dieu, ta volonté » (Héb. 10:7), c’est-à-dire pour accomplir une rédemption parfaite et éternelle. « C’est pourquoi il dut, en toutes choses, être rendu semblable à ses frères » et participer comme eux « au sang et à la chair » (Héb. 2:14 et suiv.). Il « s’est anéanti lui-même, prenant la forme d’esclave, étant fait à la ressemblance des hommes » (Phil. 2:7), et venant même « en ressemblance de chair de péché » (Rom. 8:3) !

 

Amour impossible à comprendre

Le Fils de Dieu, le Créateur,

Vers nous, pécheurs, voulut descendre

Sous les traits du vrai serviteur.

 

Mais son abaissement ne s’est pas limité à venir ici-bas. Devenu homme, « il s’est abaissé lui-même, étant devenu obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix » (Phil. 2:8).

 

Ce grand amour qui s’humilie

Plus bas encore est descendu.

Le Fils de l’homme offre sa vie

Et meurt pour un monde perdu.

 

Voici l’homme ! c’est à cet homme qu’il était dit en parlant des nations : « Tu les briseras avec un sceptre de fer ; comme un vase de potier tu les mettras en pièces » (Ps. 2:9). Or que tenait-il en sa main ? Un roseau, une tige si faible qu’on ne peut s’y appuyer, et dont ses ennemis lui frappaient la tête. Lorsqu’il apparaîtra en gloire, il sera revêtu de « majesté, et de magnificence », il sera « ceint de force » (Ps. 93:1 ; 45:3), et il aura sur son vêtement un nom écrit : « Roi des rois, et Seigneur des seigneurs » (Apoc. 19:16). Son vêtement qu’était-il alors ? En guise de pourpre royale, on avait, par dérision, jeté sur ses épaules le manteau souillé d’un soldat (*). Au jour où le monde le reverra, il portera plusieurs diadèmes (Apoc. 19:12), une couronne d’or fin (Ps. 21:3). Mais alors, les hommes lui avaient tressé une couronne d’épines, rappelant la malédiction dont Dieu avait frappé le sol après la chute de l’homme (Gen. 3:18). « Christ nous a rachetés de la malédiction.., étant devenu malédiction pour nous » (Gal. 3:13). Un jour, sortira de sa bouche une épée aiguë à deux tranchants (Apoc. 19:15) ; mais alors il gardait le silence. « Je suis devenu comme un homme qui n’entend point et dans la bouche duquel il n’y a point de réplique » (Ps. 38:14). Un jour, sa face sera semblable au soleil quand il luit dans sa force (Apoc. 1:16) ; mais alors « son visage était défait plus que celui d’aucun homme, et sa forme, plus que celle d’aucun fils d’homme » (Ésaïe 52:14).

 

(*) Nous lisons, en Matt. 27:28: « Ils lui mirent un manteau (une chlamyde, manteau de soldat) d’écarlate ». En Marc et Jean, il est parlé d’un vêtement de pourpre. L’écarlate évoque la couleur du sang, tandis que la pourpre exprime la gloire royale.

 

Oui, voici l’homme, « homme de douleurs, et sachant ce que c’est que la langueur, et comme quelqu’un de qui on cache sa face », un homme méprisé et pour qui l’on n’a eu aucune estime (Ésaïe 53:3). Nous entendons la plainte de son âme s’adressant à Dieu : « Toi, tu connais mon opprobre, et ma honte, et ma confusion : tous mes adversaires sont devant toi. L’opprobre m’a brisé le cœur, et je suis accablé » (Ps. 69:19, 20).

Voici l’homme ! Quelle réponse les chefs du peuple vont-ils donner à Pilate, en présence de l’Homme parfait, mais brisé et humilié ? « Quand donc les principaux sacrificateurs et les huissiers le virent, ils s’écrièrent, disant : Crucifie, crucifie-le ! » (Jean 19:6). Une fois de plus, les chefs du peuple et leurs suppôts préviennent tout mouvement de pitié qui aurait pu se manifester parmi la foule. « Crucifie, crucifie-le ! » Telle fut leur réponse. Quelle souffrance pour le cœur du Seigneur ! Ainsi s’accomplissait cette parole infinie de tristesse et de souffrance solitaire : « J’ai attendu que quelqu’un eût compassion de moi, mais il n’y a eu personne... et des consolateurs, mais je n’en ai pas trouvé » (Ps. 69:20).

 

12               Voici votre roi ! (Jean 19:6-16)

La perplexité de Pilate est à son comble. Jusqu’ici, les Juifs s’étaient faits les défenseurs de ceux de leurs concitoyens qui comparaissaient devant lui. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit : il est convaincu de l’innocence de l’inculpé et, eux, exigent sa condamnation à mort ! Il ne leur cache pas son profond mépris : « Prenez-le, vous, leur dit-il, et le crucifiez ; car moi, je ne trouve pas de crime en lui » (Jean 19:6). Eux, prétendaient qu’il ne leur était pas permis de faire mourir personne (*) (Jean 18:31). Devant l’opposition de Pilate, ils laissent enfin tomber le masque et, renonçant à leurs accusations d’ordre politique, ils déclarent : « Nous avons une loi, et selon notre loi il doit mourir, car il s’est fait Fils de Dieu » (Jean 19:7).

 

(*) Ils ne s’embarrassèrent point de tant de scrupules lorsque, plus tard, ils lapidèrent Étienne (Actes 7).

 

Fils de Dieu ? C’est la première fois que le gouverneur entend cette expression. « Quand donc Pilate entendit cette parole, il craignit davantage, et il entra de nouveau dans le prétoire, et dit à Jésus : « D’où es-tu ? » (Jean 19:8, 9). Le songe de sa femme lui revient sans aucun doute en mémoire. Le maintien plein de souveraine dignité du Seigneur en impose. L’un des dieux, « s’étant fait semblable aux hommes, serait-il descendu vers eux » (Actes 14:11) ? Il l’avait traité sans ménagements et ses soldats l’avaient violemment outragé. Saisi de peur, il est décidé à ne pas aller plus loin.

Tiraillé entre ses terreurs superstitieuses et les reproches de sa conscience, entre sa crainte des hommes et la peur de la vérité, il ne sait quel parti prendre. S’il avait aimé la vérité, une dernière occasion lui était offerte de tomber sur sa face devant le Fils de Dieu et d’implorer son pardon. Mais il était « un homme incertain dans ses pensées, inconstant dans toutes ses voies ». Ayant refusé de croire à la vérité, il était « semblable au flot de la mer, agité par le vent et jeté çà et là ; or que cet homme-là ne pense pas qu’il recevra quoi que ce soit du Seigneur » (Jacq. 1:6 et suiv.). Aussi lisons-nous : « Jésus ne lui donna pas de réponse » (Jean 19:9).

Ce silence blesse-t-il son orgueil, ou espère-t-il, par ses questions, découvrir le secret de cet homme mystérieux ? « Pilate donc lui dit : Ne me parles-tu pas ? Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te relâcher, et que j’ai le pouvoir de te crucifier ? » (Jean 19:10). Quelle erreur ! Ni les menaces, ni les discours ne parviendront à effrayer ou à détourner de son chemin Celui qui ne craignait ni les hommes ni la mort. C’était « le prince de la vie » qui se tenait devant Pilate (Actes 3:15). C’était Celui qui avait dit : « Je laisse ma vie de moi-même ; j’ai le pouvoir de la laisser et j’ai le pouvoir de la reprendre : j’ai reçu ce commandement de mon Père » (Jean 10:18). La réponse du Seigneur vient, pleine de dignité et de douceur à la fois : « Tu n’aurais aucun pouvoir contre moi, s’il ne t’était donné d’en haut ; c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi a plus de péché » (Jean 19:11).

Pauvre Pilate ! Même si Dieu avait mis en sa main « l’épée contre son berger », le couteau contre son Fils bien-aimé (Zach. 13:7 ; Gen. 22:10), sa responsabilité demeurait entière. Néanmoins, « le juge de toute la terre » ferait « ce qui est juste » (Gen. 18:25). La grâce brille au travers du jugement. Le souverain sacrificateur qui avait livré Jésus à Pilate, et Pilate lui-même, recevront chacun un juste jugement. Tout cela ne fait qu’accentuer le trouble du gouverneur qui voudrait bien sauver Jésus de la mort. « Dès lors Pilate cherchait à le relâcher » (Jean 19:12).

Mais la foule ne l’entend pas ainsi : elle connaît trop bien ses maîtres pour s’avouer vaincue ! Les Juifs, reprenant leurs premières accusations, s’écrient : « Si tu relâches celui-ci, tu n’es pas ami de César ; quiconque se fait roi, s’oppose à César » (Jean 19:12). Ils enlacent ainsi le gouverneur dans leurs filets : se compromettre aux yeux de l’empereur, cela, Pilate ne voulait pas le risquer (*). Ainsi s’achèvent ces débats, où la lâcheté du juge le dispute à son mépris de la justice.

 

(*) L’histoire dépeint l’empereur Tibère sous les traits d’un souverain cruel, qui faisait exécuter sans pitié, sous ses yeux, ceux qui étaient tombés en disgrâce.

 

« Pilate donc, ayant entendu ces paroles, amena Jésus dehors, et s’assit sur le tribunal, dans le lieu appelé le Pavé, et en hébreu Gabbatha » (Jean 19:13). Il prend, avec solennité, la place de juge suprême pour prononcer son verdict. Avec non moins de solennité, le Saint Esprit prend acte du lieu, du jour et de l’heure où ce jugement fut rendu. Dissimulant sa lâcheté sous des paroles blessantes, Pilate adresse au peuple des propos chargés de mépris : « Voici votre roi !... crucifierai-je votre roi ? » (Jean 19:14, 15). Une fois de plus, les Juifs courbent la tête sous l’affront. Allant jusqu’à nier l’existence de leur Messie national, ils s’écrient : « Nous n’avons pas d’autre roi que César ». Les soldats dépouillent Jésus du manteau de pourpre et le revêtent de ses propres vêtements... Alors donc Pilate le leur livra pour être crucifié » (Marc 15:20 ; Jean 19:16). L’heure du supplice approche...

Jetons encore un regard rétrospectif sur cette scène. Pilate, le peuple, Jésus — tels en sont les protagonistes.

Pilate, le gouverneur païen, était conscient dans une certaine mesure de la gravité des événements et du mystère divin qui entourait la personne de son prisonnier. Malheureusement, avide d’honneurs et de popularité, il ne put se décider pour Christ tandis qu’il en était encore temps. On peut lui appliquer cette parole du Seigneur : « Que profitera-t-il à un homme s’il gagne le monde entier et qu’il fasse la perte de son âme ? » (Matt. 16:26). La faveur de l’empereur à laquelle il sacrifia et le Seigneur Jésus et sa propre âme, n’avait de prix que pour cette terre ; d’ailleurs, il devait perdre cette faveur quelques années plus tard (*).

 

(*) En l’an 36, soit six ans environ après la mort de Jésus, Pilate tomba en disgrâce et mourut de mort violente (suicide ou condamnation à la peine capitale).

 

Mais la responsabilité du peuple juif est plus lourde que celle de ce malheureux. « Voici votre roi », lui avait dit Pilate. Et c’était vrai. Aveuglé par sa haine, le peuple répondit : « Nous n’avons pas d’autre roi que César ». Déjà, dans la parabole, ils avaient dit : « Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous » (Luc 19:14). Mais bien longtemps auparavant, alors que le peuple était encore dans le désert, l’Éternel avait dit de lui : « Jusques à quand ne me croira-t-il pas, après tous les signes que j’ai faits au milieu de lui ? » (Nb. 14:11). C’est « à plusieurs reprises et en plusieurs manières » (Héb. 1:1) que Dieu lui avait parlé par les prophètes, « chaque jour se levant de bonne heure et les envoyant » (Jér. 7:25), « mais ils n’ont pas voulu entendre » (Ésaïe 28:12). « Et ils n’ont pas voulu marcher dans ses voies », ni « le servir », ni « être attentifs au son de la trompette » (Ésaïe 42:24 ; Jér. 2:20 ; 6:16, 17). « À la fin de ces jours-là », il leur parla « dans le Fils ». Mais « ils ne voulurent pas venir à lui » (Jean 5:40). Le Père prépara un banquet pour ses fils, mais « le fils aîné », figure d’Israël, « ne voulut pas entrer » (Luc 15:28). Ils « tinrent fermement à la tromperie et refusèrent de revenir ». « Ceci a été ton chemin dès ta jeunesse », tel a été « l’égarement continuel » de ce peuple rebelle (Jér. 8:5 ; 22:21). Combien poignantes sont les paroles du Seigneur Jésus, s’adressant à Jérusalem : « Jérusalem, Jérusalem, la ville qui tue les prophètes et qui lapide ceux qui lui sont envoyés, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu » ! (Matt. 23:37). Lui, il l’avait voulu ; mais pas eux ! Et si, dans leur révolte, « ils ont rendu leurs faces plus dures qu’un roc », lui, il a, par amour « dressé sa face comme un caillou », afin d’en sauver tout d’abord quelques-uns, puis aux temps de la fin, « tout Israël » (Jér. 5:3 ; Ésaïe 50:7 ; Rom. 11:26).

Au-dessus de Pilate et du peuple, s’élève bien haut, dans une solitude pleine de majesté, la personne de Christ, le seul qui, devant ce tribunal, fût innocent. À aucun moment, il ne se soumet à la volonté de l’homme, mais il n’en est que plus soumis à celle de Dieu. Du chemin parcouru par l’Homme obéissant, chemin qui le conduisit « à la mort, et à la mort de la croix » s’éleva constamment jusqu’à Dieu un « parfum de bonne odeur » (Éph. 5:2).

 

13               Hors du camp

(Héb. 13:12, 13 ; Jean 19:16, 17)

 

« Ils prirent Jésus, et l’emmenèrent. Et il sortit, portant sa croix » (Jean 19:16, 17). Nombreux sont les croyants qui, au cours des âges, se sont arrêtés, le cœur étreint, devant cette scène. Peu auparavant, nous avons entendu Pilate dire au peuple : « Voici, je vous l’amène dehors... Jésus donc sortit dehors » (Jean 19:4, 5). Il portait alors la couronne d’épines et le manteau de pourpre ; maintenant, il porte la croix, le bois maudit.

Apparemment, ce sont les hommes qui agissent et imposent leur volonté, mais la Parole déclare « Il sortit, portant sa croix ». Point n’était besoin de contrainte ; à aucun moment, ses forces physiques ou morales ne faiblissent. « Il sortit portant sa croix », dominant souverainement les hommes et les événements, dans la puissance d’un esprit entièrement soumis à Dieu.

Le récit des évangiles synoptiques ne change rien à ce fait. « Ils l’emmènent dehors pour le crucifier. Et ils contraignent un certain homme, Simon, Cyrénéen, père d’Alexandre et de Rufus, qui passait par là, venant des champs, de porter sa croix » (Matt. 27:31, 32 ; Marc 15:20, 21 ; Luc 23:26-32). Certains pensent que les soldats ont agi de la sorte parce qu’ils auraient constaté des signes de fatigue chez le Seigneur Jésus, ou que, même, il aurait ployé sous le faix. La Parole ne mentionne aucun fait qu’on puisse invoquer à l’appui de telles suppositions.

Certes, le Seigneur Jésus, homme parfait, souffrait intensément, mais ce qu’il ressentait, il ne l’exprimait pas devant les hommes, mais seulement à Dieu, ainsi qu’il ressort des prophètes et des psaumes. Il était « Dieu manifesté en chair ». Mais nous ne pouvons sonder le mystère de l’incarnation. « Personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père » (Matt. 11:27). Il ne nous appartient pas de regarder dans l’arche. Que ce qui arriva aux hommes de Beth-Shémesh nous serve d’avertissement (1 Sam. 6:19 et suiv.) !

Un fait est certain : Jésus porta sa croix et il l’eût portée jusqu’à Golgotha, si les soldats n’avaient pas contraint Simon de le faire. Plus tard, lorsqu’il fut sur la croix, il porta un fardeau combien plus pesant : celui de nos péchés, et personne ne put s’en charger. « Mes iniquités.., comme un pesant fardeau... sont trop pesantes pour moi » (Ps. 38:4).

Simon le Cyrénéen (*) était un étranger. « Il passait par là, venant des champs » (Marc 15:21). Les événements qui se déroulaient à Jérusalem ne l’intéressaient pas, semble-t-il, il passait par là. Image de l’homme indifférent envers Christ, il est néanmoins contraint d’obéir à Satan et à ses suppôts. Ils le « trouvèrent », le « prirent », le « contraignirent » et le « chargèrent de la croix, pour la porter après Jésus » (Matt. 27:32 ; Marc 15:21 ; Luc 23:26). Mais, même s’il n’en avait pas conscience, quel honneur pour lui ! Peut-être cet incident le guérit-il de son indifférence à l’égard de Christ. Tout au moins a-t-on pu supposer que ses deux fils furent connus plus tard comme chrétiens, et peut-être son épouse aussi (cf. Rom. 16:13).

 

(*) Cyrène était une ville de Libye (Actes 2:10).

 

« Une grande multitude du peuple et de femmes qui se frappaient la poitrine et le pleuraient, le suivait » (Luc 23:27). Cela ne réjouissait-il pas son cœur ? N’était-ce pas la « compassion » qu’il avait attendue ? Nullement ! Lors d’une pâque antérieure, à Jérusalem, plusieurs avaient cru « en son nom, contemplant les miracles qu’il faisait ». Mais nous lisons qu’il « ne se fiait pas à eux, parce qu’il connaissait tous les hommes » (Jean 2:23 et suiv.). Il savait que les larmes de ces femmes n’étaient que l’expression de sentiments naturels, si louables fussent-ils en soi. Au lieu de pleurer sur lui, elles auraient dû pleurer sur elles-mêmes et sur leurs enfants, car des jours allaient venir, dans lesquels on dirait bienheureuses celles qui n’auraient pas été mères, à cause des terribles jugements qui fondraient sur Israël (Luc 23:28-30).

Quelle différence entre ces « filles de Jérusalem » et « les femmes qui l’avaient suivi depuis la Galilée » (Luc 8:2, 3 ; 23:49) ! Si les premières avaient reçu, elles aussi, les paroles du Seigneur, elles auraient été, comme les secondes, à l’abri de ces jugements à venir. « Car, ajoute Jésus, s’ils font ces choses au bois vert (c.-à-d. à lui-même), que sera-t-il fait au bois sec (à Israël) ? » (Luc 23:31). Du « tronc d’Isaï », de la « terre aride » était sorti un rejeton verdoyant « comme une racine », afin de « fructifier » (És. 11:1 ; 53:2). Il importait donc de le recevoir comme tel, au lieu de pleurer sur lui.

« Deux autres aussi, qui étaient des malfaiteurs, furent menés avec lui, pour être mis à mort » (Luc 23:32). C’est dans cette compagnie que le Seigneur acheva sa course ici-bas, « s’en allant au lieu appelé lieu du crâne, qui est appelé en hébreu Golgotha » (Jean 19:17). Ce lieu était situé hors de la ville. De même que, lors de sa naissance, « il n’y avait pas de place pour lui dans l’hôtellerie » (Luc 2:7), et que sur son chemin il n’avait « pas où reposer sa tête » (Luc 9:58), de même il dut mourir hors de la sainte ville. Comme le bouc qu’on immolait pour le péché du peuple, au grand jour des expiations, devait être transporté et brûlé hors du camp, Jésus fut chassé hors du camp d’Israël et « a souffert hors de la porte » (Lév. 16:15-27 ; Héb. 13:11-13).

 

14               « Crucifié en infirmité »

(2 Cor. 13:4 ; Matt. 27:33-38 ; Marc 15:22-28 ; Luc 23:33-35, 38 ; Jean 19:17-24)

 

« Et ils le mènent au lieu appelé Golgotha, ce qui, interprété, est : lieu du crâne » (Marc 15:22). Il est sans intérêt pour nous de savoir où ce lieu était situé et pour quelle raison il portait ce nom (*). Mais les événements qui s’y passèrent nous émeuvent profondément. Aussi le nom de Golgotha éveillera-t-il à jamais un écho puissant dans le cœur des croyants. C’est là que le Fils de Dieu a été « élevé de la terre » ; là qu’il a « enduré la croix, ayant méprisé la honte » ; là qu’il a été « crucifié en infirmité » (Jean 12:32, 33 ; Héb. 12:2 ; 2 Cor. 13:4). C’est là encore que fut accomplie l’œuvre glorieuse de la rédemption et que les conseils de Dieu envers l’homme pécheur trouvèrent leur pleine réalisation. Hélas ! le langage humain ne peut décrire, dans toute leur étendue, les conséquences infinies de l’événement que nous allons considérer. « Maintenant le fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en lui-même ; et incontinent il le glorifiera » (Jean 13:31, 32). La glorification de Christ et de Dieu en lui, tel était le but suprême de l’œuvre qui allait s’accomplir à Golgotha.

 

(*) Le seul détail que l’Écriture rapporte à ce sujet, c’est que Golgotha, quoique « hors de la porte » était « près de la ville », et probablement en un lieu de passage fréquenté (Jean 19:20).

 

« Et étant arrivés au lieu appelé Golgotha, ce qui signifie lieu du crâne, ils lui donnèrent à boire du vinaigre mêlé de fiel ; et l’ayant goûté, il n’en voulut pas boire » (Matt. 27:33, 34). Bien que Marc parle de « vin mixtionné de myrrhe » (15:23), il s’agissait certainement du même breuvage, destiné à atténuer les souffrances des crucifiés (*). Le Seigneur avait dit, par la bouche du Psalmiste : « Ils ont mis du fiel dans ma nourriture, et, dans ma soif, ils m’ont abreuvé de vinaigre » (Ps. 69:21).

 

(*) On se servait, à cet effet, de vin acide, que Matthieu appelle « vinaigre ». Le « fiel » désignait un produit amer, tel que l’huile de myrrhe. Plusieurs manuscrits de Matthieu emploient le terme de « vin », au lieu de « vinaigre ».

 

Le fait que le Seigneur goûta le breuvage avant de le refuser (bien qu’il sût ce que c’était) rend témoignage, de façon combien touchante, à sa parfaite humanité et à son abaissement. Cependant, quoiqu’il ressentît la douleur comme nous-mêmes, il refusa tout soulagement de la part des hommes : « Mais il ne le prit pas » (Marc 15:23). Il rejeta le breuvage que l’homme lui offrait, afin de boire, pleinement conscient, la coupe amère qu’il avait reçue de la main de son Père.

« Et l’ayant crucifié... » Combien la Parole est sobre de détails au sujet du crucifiement lui-même ! Mais écoutons le Seigneur exhaler sa plainte devant son Père : « Des chiens m’ont environné, une assemblée de méchants m’a entouré : ils ont percé mes mains et mes pieds ; je compterais tous mes os » (Ps. 22:16, 17). Les chefs du peuple ne se souviennent-ils donc pas de ces paroles du Psalmiste, décrivant mille ans à l’avance ce qu’ils venaient d’accomplir ? « Jésus le Nazaréen.., vous l’avez cloué à une croix et vous l’avez fait périr par la main d’hommes iniques... Vous l’avez fait mourir, le pendant au bois » (Actes 2:22, 23 ; 5:30 ; 10:39). Ah ! nous savons de quel bois il s’agissait, « car il est écrit : Maudit est quiconque est pendu au bois » (Deut. 21:23 ; Gal. 3:13). C’était le bois de la malédiction. — L’homme a complètement perdu de vue le fait que cette croix et le Crucifié lui-même témoignent contre lui. Il a fait de la croix un objet de vénération idolâtre, comme Israël avait, durant des siècles, brûlé de l’encens au « serpent d’airain que Moïse avait fait » — type saisissant de Christ élevé sur la croix. Ézéchias l’ôta du temple, le mit en pièces et l’appela Nehushtan (morceau d’airain) (2 Rois 18:4). Le croyant se détourne avec une sainte répulsion de telles choses, qui ne font que flatter la chair et ses sentiments religieux. Mais il condamne avec une égale vigueur l’absence de tout sentiment d’humanité dont la crucifixion de Jésus nous donne le triste spectacle.

« Et l’ayant crucifié, ils partagèrent ses vêtements, en tirant au sort » (Matt. 27:35). Le gain facile de quelques vêtements, la joie cynique de s’enrichir aux dépens d’un supplicié, suffisent à bannir de ces cœurs endurcis toutes les impressions qu’aurait pu leur faire éprouver l’agonie à laquelle ils assistaient. Par la suite, nous voyons combien le Saint Esprit s’efforce de produire de telles impressions dans quelques-uns des témoins de cette scène, et cela pour leur bénédiction éternelle (Luc 23:40 et suiv.). Avec quel soin méticuleux les légionnaires procèdent, « faisant quatre parts, une part pour chaque soldat », jetant même le sort pour déterminer avec équité « ce que chacun en prendrait » — dans ce lieu où la pire des injustices venait d’être commise (Jean 19:23 ; Marc 15:24). Le peuple, tout aussi dépourvu d’intelligence, « se tenait là, regardant ». Pour lui, regarder le Fils du Dieu vivant, cloué sur le bois maudit, n’était qu’un spectacle et rien de plus (Luc 23:35, 48).

Mais qu’était tout cela pour le Seigneur, suspendu dans une position si douloureuse, entre le ciel et la terre ? « Ils me contemplent ; ils me regardent ; ils partagent entre eux mes vêtements, et sur ma robe ils jettent le sort » (Ps. 22:17, 18). « Délaissé des hommes » (Ésaïe 53:3), il était là, solitaire et incompris, comme il l’avait été, sa vie durant, « semblable au pélican du désert, comme le hibou des lieux désolés, comme un passereau solitaire sur un toit » (Ps. 102:6, 7). Avant même qu’il meure, ses biens sont partagés — héritage misérable qui atteste son complet dénuement ; c’est sans doute d’une main amie qu’il avait reçu la précieuse tunique « sans couture, tissée tout d’une pièce depuis le haut jusqu’en bas » (Jean 19:23). Lui, à qui appartiennent l’argent et l’or, « les bêtes sur mille montagnes » (Aggée 2:8 ; Ps. 50:10), avait renoncé à tout. Il ne possédait même pas un statère pour acquitter l’impôt du temple (Matt. 17:24 et suiv.). Aussi est-ce avec raison que l’apôtre Paul écrivait aux Corinthiens : « Vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus Christ, comment étant riche, il a vécu dans la pauvreté pour vous, afin que par sa pauvreté vous fussiez enrichis » (2 Cor. 8:9).

Tout cela arriva « afin que l’Écriture fût accomplie », ainsi que l’évangile de Jean le déclare à plusieurs reprises (Jean 19:24, 28, 36, 37). Là s’accomplit en tous points la volonté de Dieu le Père, la seule à laquelle le Fils fût soumis. L’Esprit ajoute aussitôt : « Les soldats donc firent ces choses ». Ces légionnaires romains, dont la brutalité paraissait l’emporter toujours, même à l’égard du Seigneur Jésus, n’étaient que des instruments dans la main de Dieu accomplissant sa parole en grâce. Il était donc bien inutile qu’ils veillent sur leur victime (Matt. 27:36).

« Et ils placèrent au-dessus de sa tête son accusation écrite ». Quels en étaient les termes ? Chaque évangile en rapporte une partie seulement (*). Si nous en relions les divers éléments, nous obtenons la phrase suivante : « Celui-ci est Jésus, le Nazaréen, le roi des Juifs » (Matt. 27:37 ; Marc 15:26 ; Luc 23:38 ; Jean 19:19). « Jésus, le Nazaréen », c’est le Sauveur venu dans l’abaissement sur cette terre (Matt. 1:21). « Le roi des Juifs » nous rappelle sa dignité royale, mais aussi le fait qu’il a été rejeté par son peuple, ainsi que la gloire qui lui sera conférée un jour dans ce monde où il n’a rencontré que la haine, le mépris et la mort ignominieuse de la croix.

 

(*) Certains pensent que le texte aurait été rédigé différemment dans chacune des trois langues employées par Pilate. Marc en donnerait l’essentiel, c’est-à-dire le principal chef d’accusation, tandis que chacun des trois autres évangiles aurait rapporté l’une des trois inscriptions. Il paraît difficile de concilier une telle opinion avec le texte de Luc 23:38.

 

Tel était « l’écriteau au-dessus de lui ». Il était écrit « en lettres grecques, romaines, et hébraïques » (Luc 23:38). Dieu faisait ainsi proclamer, du haut de la croix — dans les langues les plus connues alors, utilisées l’une par le monde de la culture, la deuxième, par le monde officiel, la troisième, par le monde religieux — les prérogatives souveraines de son Fils, au moment même où il était l’objet d’un traitement si humiliant. Cette proclamation était parfaitement visible et compréhensible pour tous ceux qui passaient devant la croix. Elle établissait, d’autre part, la folie de l’accusation élevée contre le Seigneur Jésus. Nous pouvons bien chanter : « Dans la honte a brillé ta gloire sur la croix », car la foi discerne, dans le Crucifié, un abaissement et une gloire infinis.

« Plusieurs des Juifs donc lurent cet écriteau, parce que le lieu où Jésus fut crucifié était près de la ville... Les principaux sacrificateurs des Juifs donc dirent à Pilate : N’écris pas : Le roi des Juifs ; mais que lui a dit : Je suis le roi des Juifs » (Jean 19:20, 21). Les principaux sacrificateurs ne voulaient pas reconnaître le fait annoncé par l’écriteau, dont l’ironie intentionnelle les irritait aussi. Ils sont contraints d’en référer au représentant de César, auquel ils venaient de déclarer qu’ils ne voulaient point d’autre roi que son maître (Jean 19:15). Cela leur attire une rebuffade cinglante de Pilate : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit ». Il est remarquable que ce soit Pilate, adversaire de la vérité, dont Dieu se serve pour rendre témoignage à la vérité quant à son Fils et proclamer au monde entier qu’il est « Jésus, le Nazaréen, le roi des Juifs ».

« Alors sont crucifiés avec lui deux brigands, un à la droite, et un à la gauche » (Matt. 27:38). C’est en cette compagnie infamante qu’il était sorti de la ville (Luc 23:32) et c’est en cette compagnie qu’il est crucifié, de sorte que le plus aveugle des pécheurs peut reconnaître quelle place l’homme a donnée à Celui qui était « sur toutes choses Dieu béni éternellement » (Rom. 9:5). On voulait aussi lui donner « son sépulcre avec les méchants ; mais il a été avec le riche dans sa mort » (Ésaïe 53:9 ; Matt. 27:57 et suiv.). Néanmoins, aussi longtemps qu’il plaisait à Dieu et tant que cela était nécessaire à l’accomplissement de ses conseils, il permettait que l’homme donnât libre cours à sa méchanceté. Aussi, le Juste fut « compté parmi les transgresseurs » (Ésaïe 53:12). « Et l’écriture fut accomplie, qui dit : Et il a été compté parmi les iniques » (Marc 15:28).

Nous lisons, en Jean 19:18 : « Ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu ». Combien différente fut sa part, au-delà de la croix et du tombeau, alors que, « premier-né d’entre les morts », « Jésus vint et se tint au milieu » des siens (Jean 20:19) — privilège que ceux-ci goûtent aujourd’hui encore par la foi (Matt. 18:20). Lorsqu’ils seront introduits dans le ciel, ils le verront tel « un agneau se tenant là, comme immolé, au milieu du trône et des quatre animaux, et au milieu des anciens » (Apoc. 5:6), et ils lui adresseront l’hommage éternel de leur adoration. Alors, ce ne seront plus des malfaiteurs, mais ses chers rachetés qui entoureront leur bien-aimé Seigneur et Sauveur.

Lorsqu’il reviendra sur la terre, il apparaîtra « au milieu de ses saintes myriades » (Jude 14), non plus dans l’abaissement, mais en gloire ; non plus comme l’agneau immolé, mais comme « le lion de Juda qui a vaincu » (Apoc. 5:5), non plus pour sauver, mais « pour exécuter le jugement contre tous, et pour convaincre tous les impies d’entre eux de toutes leurs œuvres d’impiété qu’ils ont impiement commises et de toutes les paroles dures que les pécheurs impies ont proférées contre lui » (Jude 15). Combien terrible sera la part de ses juges et de ses bourreaux

 

15               « Père, pardonne-leur » (Luc 23:34)

Les évangiles rapportent sept paroles prononcées par le Seigneur sur la croix (Matt. 27:46 Marc 15:34 ; Luc 23:34, 43, 46 ; Jean 19:26-30). Celle que nous allons méditer, est la première. Le Seigneur l’a prononcée sitôt après qu’il eut été crucifié.

« Ils le crucifièrent là... Et Jésus dit : Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » (Luc 23:33, 34). De sa bouche sainte ne sortent ni plaintes, ni protestations, ni menaces. Chaque fois qu’il l’ouvre, c’est pour exprimer des paroles de grâce. Point de sainte et juste colère, ni d’appel à la vengeance et au jugement de Dieu. « Père, pardonne-leur » : telle est sa réponse à la plus cruelle des offenses qu’il eût subies de la part de ses ennemis.

C’eût été déjà admirable, semble-t-il, que le Seigneur intercédât en faveur des légionnaires, suppôts ignorants de ses bourreaux. Mais pouvait-il invoquer le pardon de Dieu en faveur des Juifs, dans la bouche desquels « Hosanna » avait si vite fait place à « Crucifie-le » ? un peuple qui, en retour de ses innombrables bienfaits, l’avait accablé d’outrages ?

Certes, tout ce qui appartenait à l’ancienne économie était mis de côté car, en tant que nation, Israël avait entièrement failli à sa responsabilité envers Dieu. Il n’avait pas su discerner « en cette sienne journée les choses qui appartenaient à sa paix » (Luc 19:42). Si les choses en étaient restées là, tout espoir de restauration eût été à jamais perdu pour lui, car en rejetant son Messie, il mettait le comble à son iniquité. Mais, en Christ, Dieu accomplissait ainsi ses desseins éternels de grâce, de sorte que « là où le péché abondait », la grâce pourrait « surabonder » (Rom. 5:20). « Il a été compté parmi les transgresseurs » (Ésaïe 53:12) voilà ce que son peuple fit du « Saint d’Israël ». Mais « il a intercédé pour les transgresseurs » — telle fut la réponse de Celui qui était venu du ciel en grâce.

« Aimez vos ennemis..., priez pour ceux qui vous font du tort et vous persécutent » (Matt. 5:44), avait dit le Seigneur un jour, sur la montagne. Aucun commandement n’est plus contraire à la nature humaine. Mais en Christ, il y avait concordance parfaite entre ses actes et son enseignement. Aussi pouvait-il déclarer de lui-même : « Je suis absolument ce qu’aussi je vous dis » (Jean 8:25). Animé de l’esprit de son Maître, Paul écrivait aux Corinthiens : « Calomniés, nous supplions » (1 Cor. 4:13). Et Pierre : « Car aussi Christ a souffert pour vous, vous laissant un modèle, afin que vous suiviez ses traces... qui, quand il souffrait, ne menaçait pas », mais pria au contraire pour ses ennemis (1 Pierre 2:21-23).

Moïse, beau type de Christ, avait intercédé, lui aussi, pour le peuple, qui l’avait accablé de ses incessantes manifestations de jalousie. L’Éternel aurait détruit Israël « si Moïse, son élu, ne s’était pas tenu à la brèche devant lui, pour détourner sa fureur » (Ps. 106:16, 23 ; Ex. 32:30 et suiv. ; Nb. 14:10 et suiv.). Mais par la suite Dieu ne trouva aucun intercesseur parmi les chefs du peuple. Aussi donne-t-il libre cours à son amertume : « J’ai cherché parmi eux un homme qui... se tînt à la brèche devant moi pour le pays, afin que je ne le détruisisse pas ; mais je n’en ai point trouvé » (Éz. 13:5 ; 22:30). Maintenant il en a trouvé un dans la personne de son Fils unique, et cela au moment même où son peuple venait de le crucifier.

« Père, pardonne-leur ». En vertu de cette intercession, Israël ne fut pas définitivement rejeté par Dieu, comme il l’eût mérité, et le jugement qui devait l’atteindre fut différé quelque temps encore. Après la descente du Saint Esprit, la repentance fut prêchée au peuple, principalement par Pierre, et les premiers chapitres des Actes décrivent les fruits extraordinaires qui en résultèrent. Mais Israël comme peuple continua de mépriser et de rejeter son Messie. « Gens de col roide, leur dit Étienne, incirconcis de cœur et d’oreilles, vous résistez toujours à l’Esprit Saint » (Actes 7:51 et suiv.). La mise à mort d’Étienne fut comme « l’ambassade » qu’ils envoyèrent après l’Homme noble qui s’en était allé dans un pays éloigné, lui disant : « Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous » (Luc 19:12-14). Toutefois, « Dieu n’a point rejeté son peuple », mais « au temps actuel aussi il y a un résidu selon l’élection de la grâce » et, après les jugements, « tout Israël sera sauvé » (Rom. 11:2, 5, 26).

Le motif de l’intercession du Seigneur Jésus en faveur de son peuple est tout aussi admirable que l’intercession elle-même. « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ». Nous en aurions, certes, jugé autrement : n’agissaient-ils pas en parfaite connaissance de cause ? n’avaient-ils pas discerné qui était Jésus ? ne déclaraient-ils pas ouvertement, comme dans la parabole : « Celui-ci est l’héritier, tuons-le, afin que l’héritage soit à nous » (Luc 20:14) ? Pourtant le Seigneur dit : « Ils ne savent ce qu’ils font ». Il aimait son peuple « d’un amour éternel » et la grâce dont son cœur était rempli pour lui « l’attirait avec bonté » (Jér. 31:3). « Frères, je sais que vous l’avez fait par ignorance, dit Pierre, de même que vos chefs aussi » (Actes 3:17). « Aucun des chefs de ce siècle » n’avait connu la sagesse de Dieu. « Car s’ils l’eussent connue, ils n’eussent pas crucifié le Seigneur de gloire » (1 Cor. 2:7, 8). Cependant, quand ils eurent rejeté le Sauveur ressuscité et glorifié comme ils avaient rejeté le Sauveur souffrant et humilié, ils ne purent plus invoquer leur ignorance. Aussi, dans son intercession, Étienne ne demande pas au Seigneur de leur pardonner, parce qu’ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, mais « il cria à haute voix : Seigneur, ne leur impute point ce péché » (Actes 7:60).

« Pour mon amour, ils ont été mes adversaires ; mais moi je me suis adonné à la prière » (*) (Ps. 109:4). À sept reprises, l’évangile de Luc nous présente le Seigneur Jésus en prière. Homme dépendant, il a passé des nuits en prière (Luc 6:12). Nous lisons aussi que « s’étant levé sur le matin, longtemps avant le jour, il sortit et s’en alla dans un lieu désert ; et il priait là » (Marc 1:35). « Mais moi, Éternel ! je crie à toi, et dès le matin ma prière te prévient » (Ps. 88:13). Le « matin » de Gethsémané, sa prière avait aussi « prévenu » Dieu, alors que « dans l’angoisse du combat, il priait plus instamment », au moment où il recevait la coupe de la main du Père. « J’ai crié à toi, Éternel, tous les jours ; j’ai étendu mes mains vers toi » (Ps. 88:9). « Tous les jours », sur la croix même, il « crie » à son Dieu et « étend ses mains vers lui », ses mains blessées par ceux pour lesquels il intercède : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ».

 

(*) Littéralement : mais moi prière ».

 

16               « Sauve-toi toi-même »

(Matt. 27:39-44 ; Marc 15:29-32 ; Luc 23:35-37)

 

Nous contemplons maintenant le Seigneur Jésus suspendu à la croix, exposé aux rayons du soleil d’Orient, aux regards impudents de la foule, ainsi qu’aux sarcasmes incessants de ses ennemis, à quoi s’ajoutaient les tortures physiques de la crucifixion. Nous avons peine à nous représenter l’intensité des souffrances morales qu’il éprouva dans son âme divinement sensible, sous l’effet du « venin mortel » (Jacq. 3:8) distillé par la langue acérée de ses adversaires. « Mon âme est au milieu de lions ; je suis couché parmi ceux qui soufflent des flammes — les fils des hommes, dont les dents sont des lances et des flèches, et la langue une épée aiguë » (Ps. 57:4). « Beaucoup de taureaux m’ont environné, des puissants de Basan m’ont entouré ; ils ouvrent leur gueule contre moi, comme un lion déchirant et rugissant. Je suis répandu comme de l’eau, et tous mes os se déjoignent ; mon cœur est comme de la cire, il est fondu au-dedans de mes entrailles. Ma vigueur est desséchée comme un têt et ma langue est attachée à mon palais ; et tu m’as mis dans la poussière de la mort » (Ps. 22:12 et suiv.). Combien il est émouvant d’entendre, de la bouche même du Seigneur, la description des souffrances physiques et morales qu’il a endurées à la croix !

Ces souffrances rendent plus indigne encore la cruauté des injures dont ses ennemis l’abreuvent. À part les quelques fidèles qui « se tenaient près de la croix » (Jean 19:25), tous les spectateurs de cette scène jouent leur rôle dans ce concert ignominieux : le peuple, les chefs, les soldats et les brigands crucifiés avec Jésus. Nous verrons plus tard que même les terreurs des trois heures ténébreuses ne leur fermèrent point complètement la bouche (Matt. 27:47, 49).

De grandes foules du peuple et de ceux qui, de toutes les régions du pays, étaient venus à Jérusalem pour la fête, « s’étaient assemblées à ce spectacle » (Luc 23:48). Que le peuple « se tînt là, regardant », ou défilât devant la croix, tous, ils injuriaient « l’homme de douleurs », se moquaient de lui et le couvraient d’outrages (Matt. 27:39, 41, 44 ; Luc 23:35). « Tous ceux qui me voient se moquent de moi ; ils ouvrent la bouche, ils hochent la tête » (Ps. 22:7). Combien la Parole de Dieu est admirable ! Ce qui était écrit dans ce psaume se réalisait à la croix : « Ceux qui passaient par là l’injuriaient, hochant la tête, et disant : Toi qui détruis le temple et qui le bâtis en trois jours, sauve-toi toi-même » (Matt. 27:39, 40). Ils reprennent les mensonges dont ils s’étaient servis la nuit précédente pour étayer leurs faux témoignages contre Jésus. Quelle infamie que de lui imputer de nouveau des paroles qu’il n’avait pas prononcées ! « Tout le jour ils tordent mes paroles ; toutes leurs pensées sont contre moi en mal » (Ps. 56:5). « Si tu es Fils de Dieu, descends de la croix » (Matt. 27:40). Ces mots ne nous rappellent-ils pas le langage de Satan, lors de la tentation de Jésus au désert ? Il n’est pas surprenant que les « fils de la désobéissance » s’expriment comme leur père.

« Les gouverneurs aussi se raillaient de lui avec eux » (Luc 23:35). « Ceux qui sont assis dans la porte parlent contre moi » (Ps. 69:12). Ils avaient dit, dans une occasion précédente : « Cette foule qui ne connaît pas la loi est maudite » (Jean 7:49), mais maintenant ils faisaient cause commune avec elle. De même, les humiliations que Pilate et Hérode avaient infligées à leur innocente victime les avaient réconciliés l’un avec l’autre. Il en était ainsi du peuple et de ses chefs. « Et pareillement aussi les principaux sacrificateurs avec les scribes et les anciens se moquaient... » (Matt. 27:41). Bien qu’ils le fissent « entre eux » (Marc 15:31), leur attitude était d’autant plus condamnable qu’elle se paraît des formes hypocrites chères aux bien-pensants.

« Il a sauvé les autres, disaient-ils, il ne peut se sauver lui-même » (Matt. 27:42). Peu de jours auparavant, ils avaient comploté de faire mourir Lazare, dont la résurrection attestait que Jésus « avait sauvé les autres » ; ils voulaient faire disparaître ce témoin, « car, à cause de lui, plusieurs des Juifs s’en allaient et croyaient en Jésus » (Jean 12:11). Maintenant qu’ils pensaient avoir atteint leur but, ils reconnaissaient avec une franchise pleine de cynisme qu’il avait sauvé les autres. N’aurait-il pu se sauver lui-même ? Certes ! Mais notre Sauveur ne l’a pas voulu. Afin de pouvoir sauver les autres, il lui fallut renoncer à se sauver lui-même. Il n’y avait pas d’autre moyen permettant de ramener à Dieu les coupables tombés loin de lui. Comme le serviteur d’Exode 21, il a dit : « J’aime mon maître, ma femme et mes enfants, je ne veux pas sortir libre » (v. 5). Il ne voulait pas se sauver lui-même ; et il ne le pouvait pas, parce qu’il voulait nous sauver. Il était venu ici-bas « pour chercher et sauver ce qui était perdu » ; non pour chercher quelque chose pour lui-même, mais « pour servir et pour donner sa vie en rançon pour plusieurs ».

« Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même. Que le Christ, le roi d’Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions ! » (Marc 15:31, 32). Tel avait été leur langage, de tout temps. « Une génération méchante et adultère recherche un signe, leur avait dit le Seigneur ; et il ne lui sera pas donné de signe, si ce n’est le signe de Jonas le prophète » (Matt. 12:38 et suiv. ; 16:1 et suiv.). Mais ce signe-là ne leur a pas suffi non plus. Car, après que le Fils de l’homme eut été « trois jours et trois nuits dans le sein de la terre », comme Jonas avait été « dans le ventre du cétacé », ils « virent » mais ne crurent point. Bien plus, ils recoururent à la corruption et au mensonge, afin de cacher « jusqu’à aujourd’hui » au peuple la vérité irréfutable de la résurrection de Jésus.

C’est à l’égard de ces chefs religieux que s’accomplit la prophétie d’Ésaïe, confirmée par les paroles de Jésus: « En entendant vous entendrez et vous ne comprendrez point, et en voyant vous verrez et vous n’apercevrez point » (Matt. 13:14). Leur aveuglement est particulièrement évident quand ils prononcent une parole de l’Écriture, sans s’apercevoir que le Psalmiste la met dans la bouche des ennemis du Messie : « Il s’est confié en Dieu ; qu’il le délivre maintenant, s’il tient à lui » (Matt. 27:43 ; Ps. 22:8). « Mes adversaires m’outragent comme un brisement dans mes os quand ils me disent tout le jour : Où est ton Dieu ? » (Ps. 42:10). Aucune parole humaine ne pourrait mieux décrire les sentiments de l’Homme parfait, ainsi outragé.

La mesure de son humiliation est comblée, lorsque les soldats eux-mêmes et les brigands crucifiés avec lui ajoutent leurs injures à celles du peuple et de ses chefs (Luc 23:36, 37 ; Matt. 27:44). Nous l’entendons s’écrier par l’Esprit prophétique : « Ceux qui me haïssent sans cause sont plus nombreux que les cheveux de ma tête... Éternel ! combien sont multipliés mes ennemis, et sont nombreux ceux qui s’élèvent contre moi. Beaucoup disent de mon âme : Il n’y a point de salut pour lui en Dieu ». Néanmoins sa confiance en Dieu demeure inébranlable et il sait qu’il sera délivré : « Mais toi, Éternel ! tu es un bouclier pour moi ; tu es ma gloire, et celui qui élève ma tête » (Ps. 69:4 ; 3:1-3).

 

17               La conversion du brigand

(Luc 23:39-43)

 

« Les brigands aussi qui avaient été crucifiés avec lui l’insultaient de la même manière » (Matt. 27:44). Assurément, on n’a jamais assisté à une scène pareille : des condamnés à mort injurient sans motif un autre supplicié. Ni l’horreur de leur propre situation, ni les souffrances qu’ils enduraient, ni les reproches de leur conscience, ni l’ignominie du châtiment qui leur était infligé ne les empêchaient d’insulter leur innocent compagnon d’infortune.

« L’un des malfaiteurs qui étaient pendus l’injuriait, disant : N’es-tu par le Christ, toi ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi. Mais l’autre, répondant, le reprit... » (Luc 23:39-43). Tandis que l’un des deux malfaiteurs manifeste toujours plus ouvertement son hostilité envers Jésus, en ajoutant des blasphèmes aux insultes, un changement inattendu s’est produit chez l’autre. Il reprend son compagnon, ne veut plus rien avoir « de commun avec les œuvres infructueuses des ténèbres » et agit « comme un enfant de lumière » (Éph. 5:8, 11). Qu’est-ce qui avait amené cette conversion ? On n’en peut donner qu’une seule explication : Dieu avait opéré en secret dans son cœur, afin d’arracher, à la dernière minute, un pécheur à la perdition éternelle. Luc seul nous rapporte ce fait, qui révèle à la fois l’abîme de méchanceté dans lequel l’homme est plongé et le déploiement admirable de la grâce divine.

Cette œuvre s’est accomplie en dehors de toute intervention humaine. Certes, il nous appartient d’appeler l’attention des hommes qui nous entourent sur leur état de péché, sur le jugement terrible qui les attend et sur le salut qui leur est offert en Christ. Mais si Dieu n’opère pas, nos efforts demeurent vains. L’œuvre du salut en faveur des pécheurs et le travail qui s’accomplit dans leur cœur sont, tous les deux, l’œuvre de Dieu seul.

« Mais l’autre, répondant, le reprit, disant : Et tu ne crains pas Dieu, toi, car tu es sous le même jugement ? » (Luc 23:40). Ces paroles mettent en lumière le premier fruit de ce travail secret de Dieu dans le cœur du brigand : la crainte de Dieu. Lui qui, peu d’instants auparavant, injuriait le Seigneur Jésus, reprend maintenant son compagnon qui, en face de la mort, ne craint pas le Dieu saint, le Juge éternel devant qui ils vont bientôt paraître l’un et l’autre. La crainte de Dieu, qui « est le commencement de la connaissance » (Prov. 1:7), avait pénétré dans son cœur.

Elle amène le brigand repenti dans la lumière divine et produit deux fruits qui ne font jamais défaut lorsqu’elle est profonde et sincère : il se condamne lui-même et justifie Dieu. Son compagnon estime, au contraire, avoir le droit d’être sauvé et intime au Seigneur l’ordre de le faire : « N’es-tu pas le Christ, toi ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi... » Mais le premier dit : « Et pour nous, nous y sommes justement ; car nous recevons ce que méritent les choses que nous avons commises ; mais celui-ci n’a rien fait qui ne se dût faire » (Luc 23:39 à 41).

Au lieu de reconnaître sa culpabilité, le propre juste accuse Dieu, les hommes et les circonstances. Or, la question de notre culpabilité doit être réglée entre Dieu et nous-mêmes. Lorsque au jour du jugement, les morts paraîtront devant le grand trône blanc, ils seront jugés « chacun selon leurs œuvres » (Apoc. 20:13). Certes, le premier brigand « reprit » son compagnon et, ce faisant, il le mettait en garde. « Tu es... », lui dit-il. Mais il porte jugement sur lui-même en déclarant : « Pour nous, nous y sommes justement ; car nous recevons ce que méritent les choses que nous avons commises ». Il ne cherche aucune excuse pour apaiser sa conscience, et son cœur est simple. Il condamne sa vie, reconnaît qu’il mérite la mort et manifeste ainsi tous les signes d’une sincère repentance.

« Je connais mes transgressions, s’écrie David, et mon péché est continuellement devant moi. Contre toi, contre toi seul, j’ai péché..., afin que tu sois justifié quand tu parles, trouvé pur quand tu juges » (Ps. 51:3, 4). Lorsque Dieu produit dans un homme le sentiment de sa culpabilité, celui-ci se garde bien d’accuser Dieu. Le brigand le justifie, en déclarant : « Car nous recevons ce que méritent les choses que nous avons commises ; mais celui-ci n’a rien fait qui ne se dût faire ». Il s’était vu lui-même dans la lumière de Dieu, mais cette lumière l’avait aussi éclairé quant à la parfaite innocence de Jésus.

« Mais celui-ci ». Par ces quelques mots, le brigand reconnaît la distance qui le séparait de lui, même si l’œil naturel ne pouvait la discerner alors. Non seulement il proclame l’entière innocence de Jésus, mais il déclare : « Celui-ci n’a rien fait qui ne se dût faire ». Cette constatation allait bien au-delà des témoignages de Judas, de Pilate et de tous les autres (*). Il fut réservé au brigand repenti de rendre témoignage à l’entière perfection morale de Christ.

 

(*) Cf. les passages cités en note à la page 26 (concernant les onze témoignages rendus à l’innocence de Jésus).

 

La grâce divine fait de plus en plus la lumière dans l’âme de cet homme. Bien que la gloire du Crucifié fût voilée sous son abaissement profond, il reconnaît sa seigneurie. Bien que Jésus portât, en guise de diadème, une couronne d’épines, le brigand proclame ses prérogatives royales. Bien qu’il ne fût pas possible à un crucifié d’échapper à la mort, il saisit par la foi que le Seigneur Jésus viendrait un jour « dans son royaume ». Combien peu de temps il avait fallu à l’Esprit de Dieu pour lui révéler toutes ces merveilles !

Il s’adresse maintenant directement à Jésus, sachant que lui seul pouvait le secourir. « Il disait à Jésus : Souviens-toi de moi, Seigneur, quand tu viendras dans ton royaume ». Il désirait être sauvé, certes, mais pas seulement pour cette vie. Enseigné de Dieu, il avait compris qu’il ne pouvait trouver le salut qu’auprès du Sauveur. Il ne lui demande pas d’adoucir ses souffrances, ni de mettre un terme à sa situation angoissante. Il ne souhaite qu’une chose : être désormais là où serait le Seigneur. « Souviens-toi de moi », puisse cette simple requête, expression d’une foi confiante, monter du cœur de plusieurs pécheurs vers le Sauveur, pendant qu’il en est encore temps ! Comme le brigand, ils recevront une réponse divine comblant leur attente.

« En vérité, je te dis ». C’est par cette déclaration solennelle que Jésus introduit le message qu’il adresse à cet homme. « En vérité, je te dis : Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23:43). « Avec moi ! » C’était justement ce que le pauvre brigand avait, du fond de sa misère, demandé au Seigneur. « Aujourd’hui ». Son souhait serait exaucé le jour même et non pas dans un avenir plus ou moins lointain. « Ton royaume ». Il avait exprimé le désir de prendre part au royaume du Messie d’Israël : c’est dans le paradis, le lieu de la félicité des bienheureux, qu’il va être introduit, le paradis de Dieu dont l’œuvre de la croix devait lui ouvrir l’accès. En effet, cette œuvre de grâce introduisait quelque chose d’entièrement nouveau : elle apportait à tous ceux qui croiraient, non point la gloire du royaume, mais une part infiniment plus glorieuse avec Jésus, dans la joie et la félicité éternelles.

S’il en avait été autrement et que le Seigneur eût exigé du brigand une œuvre quelconque, ce pauvre homme aurait dû abandonner tout espoir. Cette scène illustre admirablement ce qu’est la justification sur le principe de la foi, en vertu de la souveraine et parfaite grâce de Dieu. « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis ». En vérité, cette réponse dépassait « infiniment tout ce que nous demandons ou pensons » ; c’était la réponse « de l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance ».

Ainsi le pauvre supplicié trouva, à la onzième heure de sa triste existence, « une consolation éternelle et une bonne espérance par grâce » (2 Thess. 2:16) en Celui dont le sang allait être versé pour expier ses péchés. Le Seigneur Jésus, lui aussi, goûta une précieuse consolation par ce premier fruit de ses souffrances expiatoires. Déjà sur la croix il a vu du fruit du travail de son âme et en fut satisfait (És. 53:11). Il n’entra pas seul au paradis ; et nous aussi, nous verrons un jour, parmi la multitude innombrable des rachetés, le brigand sauvé sur la croix.

Mais il y avait une troisième croix à Golgotha. Combien différent fut le sort du second brigand ! N’ayant « pas trouvé lieu à la repentance » (Héb. 12:17), il est maintenant dans les tourments et aura sa part éternelle dans l’étang de feu et de soufre. Il s’est « séduit lui-même dans son âme » et « négligea un si grand salut » (Jér. 42:20 ; Héb. 2:3). « Aujourd’hui » fut pour le premier brigand celui de la félicité céleste et, pour le second, celui de la perdition éternelle. Proclamons donc en toute occasion : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs » (Héb. 4:7).

 

18               Voilà ta mère (Jean 19:27)

« Or, près de la croix de Jésus, se tenaient sa mère, et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala » (Jean 19:25-27). Quelles précieuses relations ces femmes entretenaient avec Jésus ! Elles l’avaient suivi depuis la Galilée, « l’assistant de leurs biens » (Marc 15:41 ; Luc 8:2, 3). « Plusieurs autres étaient montées avec lui à Jérusalem ». Nous les retrouvons encore par la suite : « Elles étaient assises vis-à-vis du sépulcre, ... elles regardaient où on le mettait.., elles regardèrent le sépulcre et comment son corps y avait été déposé ». Puis « elles achetèrent.., et préparèrent des aromates et des parfums », n’interrompant leur service pour le Seigneur que durant le sabbat (Matt. 27:61 ; Marc 15:47 ; 16:1 ; Luc 23:55, 56). « Sur le tard, le jour du sabbat » et le premier jour de la semaine « de très grand matin » (même, pour l’une d’entre elles, « comme il faisait encore nuit »), elles vinrent au sépulcre (Matt. 28:1 et suiv. ; Marc 16:9, 10 ; Luc 24:1 et suiv. ; Jean 20:1 et suiv.). Elles furent ainsi les premiers témoins de la résurrection de Christ et ses messagères auprès des disciples, car c’est à elles qu’il apparut premièrement. À Golgotha aussi, elles observent attentivement ce qui se passe, bien que la plupart d’entre elles « se tiennent loin », mais quelques-unes aussi, du moins momentanément, restent « près de la croix » (Luc 23:49 ; Matt. 27:55 ; Jean 19:25). Sans doute étaient-elles moins en danger que les disciples, mais c’est leur attachement au Seigneur et leur dévouement à sa personne qui les avaient conduites en ce lieu. Combien touchante est leur fidélité !

Le passage que nous méditons maintenant nous parle de la mère de Jésus. Cette faible femme, épouse d’un modeste charpentier de Nazareth, ville méprisée, est « sa mère », et lui « son fils ». L’Esprit attire donc de nouveau notre attention sur la parfaite humanité de Christ et sur son abaissement profond. « Quand l’accomplissement du temps est venu, Dieu a envoyé son Fils, né de femme » (Gal. 4:4).

Mais le mystère admirable de l’incarnation n’a pas suffi à la chair religieuse. Une partie de la chrétienté a détourné ses regards du Fils pour les porter sur la mère, l’entourant d’une vénération dont seule la divinité est digne. Rien, dans la Parole de Dieu, n’autorise un tel culte. Certes, l’ange Gabriel déclare à Marie que « Dieu la fait jouir de sa faveur » et qu’elle est « bénie entre les femmes ». Nous comprenons aussi qu’Élisabeth la dise « bienheureuse » et que « toutes les générations » doivent faire de même (Luc 1:28, 45, 48). Mais les mages venus de l’Orient rendirent hommage au petit enfant et non à sa mère (Matt. 2:11). Siméon bénit Marie et Joseph, et non le petit enfant (Luc 2:33, 34), car « sans contredit, le moindre est béni par celui qui est plus excellent » (Héb. 7:7).

Avec quelle sainte révérence Marie elle-même considérait le privilège qui lui avait été accordé, ainsi qu’il ressort de sa réponse à l’ange Gabriel, comme aussi de son cantique (Luc 1:38, 46 et suiv.) ! Elle « s’étonnait des choses qui étaient dites de Lui » et « elle gardait toutes ces choses par devers elle, les repassant dans son cœur » (Luc 2:33, 50 ; 19 et 51). Il en fut de même, lorsque Jésus commença à exercer son ministère : les paroles qu’elle prononce aux noces de Cana montrent qu’elle savait qui il était (Jean 2:3, 5).

Après la scène de Cana, Marie n’est plus mentionnée jusqu’à la croix, sauf en deux occasions (Matt. 12:47 ; 13:55). Elle passe ainsi à l’arrière-plan. Entièrement dévoué à l’œuvre que le Père lui avait donnée à faire, Jésus ne se laisse pas entraver par ses relations naturelles avec sa famille ou avec son peuple. « Ne saviez-vous pas qu’il me faut être aux affaires de mon Père ? » (Luc 2:49), avait-il déjà déclaré à ses parents, alors qu’il n’avait que douze ans. Au moment où il s’apprêtait à « sortir de la maison » (Matt. 13:1), c’est-à-dire à se détourner d’Israël qui l’avait rejeté, nous l’entendons poser cette question : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? » (Matt. 12:48). Ce qu’il dit à sa mère à Cana peut aussi nous paraître étrange : « Qu’y a-t-il entre moi et toi, femme ? » (Jean 2:4). L’heure de manifester sa gloire à Israël et de changer son deuil en allégresse — ce dont le miracle de Cana est une figure — n’était pas encore venue. Qu’en était-il maintenant ? Si Marie était « en grande peine » (Luc 2:48), lorsqu’elle avait cherché son fils durant plusieurs jours à Jérusalem, elle éprouvait aujourd’hui une peine infiniment plus grande, car la prophétie de Siméon s’accomplissait : une épée « transpercerait sa propre âme » (Luc 2:35), mettant fin pour toujours aux relations naturelles qui l’avaient unie à son Fils jusqu’alors.

« Jésus donc voyant sa mère, et le disciple qu’il aimait se tenant là, dit à sa mère : Femme, voilà ton fils. Puis il dit au disciple : Voilà ta mère » (Jean 19:26, 27). Au moment où sa mère allait le perdre, il lui donne un autre fils en la personne du disciple à qui l’unissaient les liens les plus doux. Ces paroles nous dévoilent les profondeurs infinies de l’amour qui remplissait le cœur de Jésus. Avec une grâce admirable, il avait dit de ses ennemis : « Ils ne savent ce qu’ils font ». Au brigand repenti, il ouvrait les portes du ciel en lui disant : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis ». Maintenant, dominant la croix, ses souffrances et son ignominie, il pense à sa mère avec une tendresse filiale des plus touchantes. Les sentiments humains ne lui étaient pas étrangers, bien que sa consécration à Dieu leur donnât toujours leur vraie place. Pouvait-il en être autrement chez Celui qui, s’il était vrai Dieu, était aussi vrai homme ? Nous ne pouvons contempler ce mystère sans nous prosterner dans nos cœurs et adorer notre glorieux Seigneur et Sauveur Jésus Christ.

Jean se nomme toujours, dans son évangile, « le disciple que Jésus aimait » (13:23 ; 19:26 ; 20:2 ; 21:7, 20). Ce n’était point son amour pour Jésus qui occupait ses pensées, mais l’amour merveilleux de son Sauveur. Il n’est pas surprenant qu’ayant goûté cet amour dans une telle mesure, Jean en ait été influencé dans tout son comportement. Nous le voyons, lors du dernier souper, « à table dans le sein de Jésus » ; pour l’interroger, « il se penche sur sa poitrine » (Jean 13:23, 25 ; 21:20). Il est le seul disciple qui ait suivi son Maître jusqu’à la croix ; il devance les autres au tombeau vide (Jean 20:2, 4, 8). Sur le rivage de la mer de Tibérias, c’est lui qui le premier reconnaît le Seigneur, et dès cet instant jusqu’à la fin de l’évangile, il ne le quitte plus.

Lorsqu’un cœur est rempli de son amour, le Seigneur ne manque pas de se manifester à lui. « Celui qui m’aime, sera aimé de mon Père ; et moi je l’aimerai, et je me manifesterai à lui » (Jean 14:21). C’est « le disciple que Jésus aimait » qui, lors du souper, reçut le premier, de la bouche du Seigneur, la communication que tous attendaient impatiemment (Jean 13:25, 26). Au bord de la mer de Tibérias, il lui fait une révélation extraordinaire (Jean 21:22) et, dans le passage que nous méditons, il l’honore d’une confiance toute spéciale. « Femme, voilà ton fils — voilà ta mère ». Jean doit prendre désormais la place du Seigneur dans les relations naturelles qu’il avait entretenues avec sa mère. « Et dès cette heure-là, le disciple la prit chez lui » (Jean 19:27). Aurait-il pu agir autrement ? À la tendresse du Seigneur répond l’empressement du disciple. Il pourra manifester dorénavant envers la mère de Jésus cet « amour dans l’Esprit,.., cet amour qui est le lien de la perfection » (Col. 1:8 ; 3:14).

 

19               « Voilà l’Agneau de Dieu ! »

(Matt. 27:45-47 ; Marc 15:33-35 ; Luc 23:44, 45)

 

Nous avons, le cœur étreint, suivi « l’homme de douleurs » sur ce chemin où, jusqu’ici, il a souffert de la part des hommes. Voici que s’ouvre maintenant un nouveau chapitre dans l’histoire de la croix. Il commence par ces mots: « Mais depuis la sixième heure » (Matt. 27:45). Dès lors, l’homme passe entièrement à l’arrière-plan : c’est de la main même de Dieu que le Seigneur Jésus devait recevoir les coups que sa justice lui infligeait, afin d’être « la propitiation pour nos péchés et non pas seulement pour les nôtres, mais aussi pour le monde entier » (1 Jean 2:2). Avec Jean le baptiseur, nous pouvons nous écrier :

« Voilà l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ! » (Jean 1:29).

« Mais depuis la sixième heure, il y eut des ténèbres sur tout le pays, jusqu’à la neuvième heure... Et le soleil fut obscurci (*) » (Matt. 27:45 ; Luc 23:45). Pourquoi donc le ciel se couvrait-il de ténèbres et le soleil était-il obscurci en plein midi ? Parce qu’il fallait qu’un voile enveloppât les êtres et les choses visibles, pour laisser les trois dernières heures de la croix se dérouler entre Dieu seul et la sainte Victime. La création ne devait pas contempler les souffrances indicibles de son Créateur. À l’heure où Dieu le mettait « dans des lieux ténébreux » (Ps. 88:6), il convenait que l’univers fût plongé dans une obscurité profonde. Il nous sied, à nous aussi, d’observer, à l’égard d’une telle scène, une sainte réserve. Même quand nous serons au ciel, nous ne pourrons sonder le mystère de ce qui s’est passé alors dans l’âme de notre cher Sauveur.

 

(*) Ce fait était la conséquence et non la cause des ténèbres, qui avaient un caractère entièrement supranaturel. On ne saurait invoquer une éclipse : en effet, une éclipse de soleil n’est possible qu’à la nouvelle lune ; or la pâque, célébrée le 14ième jour du mois de nisan, tombait à l’époque de la pleine lune, car les mois du calendrier juif commençaient à la nouvelle lune.

 

Il importe de relever aussi que le Saint Esprit ne nous révèle que peu de chose au sujet des trois heures de ténèbres. En effet, comment aurions-nous pu saisir quelque chose de ce que l’Écriture, parlant de Christ, appelle « le travail de son âme » ? Comment pourrions-nous comprendre ce que signifiait pour lui le fait de « livrer son âme en sacrifice pour le péché », de « livrer son âme à la mort », d’être « retranché de la terre des vivants », d’être « mis dans la poussière de la mort » (És. 53:8, 10-12 ; Ps. 22:15) ? Qui pourra jamais sonder la détresse infinie de ces trois heures d’inexorable obscurité, où notre Sauveur demeura dans une totale solitude et subit les ardeurs du jugement de Dieu ?

 

Oh ! comme ils ont pesé sur toi,

Seul, dans cette heure sombre,

L’abandon, l’angoisse et l’effroi

De nos péchés sans nombre !

 

Jésus ne laisse échapper aucune plainte ; pas un gémissement ; ses lèvres restent closes. « Il n’a pas ouvert sa bouche » (Ésaïe 53:7). Ce n’est qu’à la neuvième heure qu’il pousse un cri, un cri déchirant qui nous révèle quelque chose de l’indicible souffrance de son âme. « Et vers la neuvième heure, Jésus s’écria d’une forte voix » (Matt. 27:46). Il avait enduré sans une plainte les coups, le fouet, les crachats, les injures, les douleurs de la croix, adressant même des paroles de grâce à son disciple, à sa mère, au brigand. Mais maintenant, plongé dans un abîme de souffrance morale, abandonné de Dieu, il ne peut contenir l’angoisse de son âme. « N’est-ce rien pour vous tous qui passez par le chemin ? Contemplez et voyez s’il est une douleur comme ma douleur... » (Lam. 1:12). Ces paroles peuvent lui être appliquées dans leur sens le plus profond, à lui que Dieu affligeait « au jour de l’ardeur de sa colère ».

Cette quatrième parole du Crucifié est essentiellement différente des six autres. « Eli, Eli… ! Mon Dieu, mon Dieu... ! » L’avons-nous jamais entendu s’adresser en ces termes à son Père ? « Je te loue, ô Père », s’écrie-t-il lorsque le reniement de son peuple fournit à Dieu l’occasion de déployer sa grâce en faveur des « petits enfants » (Matt. 11:25). Dans sa prière de Jean 17, il le nomme « Père ; Père saint ; Père juste » (v. 1, 11, 25). En Gethsémané, alors qu’il recevait la coupe des souffrances de la main du Père, nous l’entendons encore lui donner le nom si tendre de « Abba, Père ; mon Père » (Matt. 26:39, 42 ; Marc 14:36). Rien ne troublait la douceur de la communion dont il jouissait avec lui. Enfin, lors du crucifiement, il pouvait dire encore : « Père, pardonne-leur... » (Luc 23:34). Tout cela prouve que l’expiation des péchés n’a point eu lieu avant les trois heures ténébreuses, comme l’affirment quelques-uns. Ceux qui pensent ainsi n’ont pas saisi ce qu’est le péché aux yeux de Dieu et diminuent, peut-être inconsciemment, la valeur unique des souffrances expiatoires du Sauveur.

« Vers la neuvième heure, Jésus s’écria d’une forte voix, disant : ... Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Qu’il eût été « délaissé des hommes » (És. 53:3), qu’il eût parcouru son chemin ici-bas dans une solitude croissante jusqu’à ce que tous aient été « scandalisés en lui » et l’aient laissé seul, n’est point pour nous surprendre, si profonde que soit notre compassion. C’était la conséquence de sa fidélité et de son obéissance à son Père dans un monde souillé et ennemi de Dieu. Mais maintenant, c’était Dieu qui l’abandonnait, lui qui n’avait pas « connu le péché » et qui n’avait pas « commis de péché » (2 Cor. 5:21 ; 1 Pierre 2:22).

Combien peu nous entrons dans ce que fut pour Dieu l’abandon de son Fils ! Il dut détourner sa face de Celui qui était le parfait holocauste et était « venu pour faire sa volonté » et l’avait pleinement accomplie (Héb. 10:9 ; Ps. 40:8). Au sujet du père et du fils, n’avait-il pas été dit, bien longtemps auparavant, lors du sacrifice d’Isaac : « Et ils allaient les deux ensemble » (Gen. 22:6, 8) ? Certes, quand Abraham prit son fils, « son unique, celui qu’il aimait », pour l’offrir en sacrifice à Morija, Dieu intervint pour « qu’il n’étendît pas sa main sur l’enfant et ne lui fît rien ». Au Calvaire, Dieu n’intervint pas ; aucun ange n’apparut pour délivrer le Seigneur ou, seulement même, le fortifier, comme « dans l’angoisse du combat » à Gethsémané (Gen. 22:11, 12 ; Luc 22:43). Mystère insondable ! à la croix, Dieu dut détourner sa face de lui. « Il plut à l’Éternel de le meurtrir. Il l’a soumis à la souffrance » (Ésaïe 53:10).

Ce qui rendait si douloureux, pour le Seigneur Jésus, « le travail de son âme » et l’amenait à dire : « Mon œil se consume d’affliction » (Ps. 88:9), c’était le fait que son Dieu l’avait abandonné. « Tu m’as mis dans une fosse profonde, dans des lieux ténébreux, dans des abîmes. Ta fureur s’est appesantie sur moi et tu m’as accablé de toutes tes vagues ». C’étaient « ses terreurs » qui le troublaient, de sorte qu’il « ne savait où il en était ». Les ardeurs de sa colère avaient passé sur lui (Ps. 88:6, 7, 15, 16). « Beaucoup de taureaux » et des « puissants de Basan » l’environnaient ; il subissait les tortures physiques et le traitement odieux que lui infligeait « l’assemblée de méchants » qui l’entourait (Ps. 22:12-18). Il ressentait au plus profond de son être le poids infini de ces souffrances. Pourtant, qu’étaient-elles, comparées à la détresse de ces heures suprêmes ? « Et toi, Éternel ! ne te tiens pas loin ; ma Force ! hâte-toi de me secourir » (Ps. 22:19).

Les pères avaient « crié vers Dieu ; ils s’étaient confiés en lui », et ils n’avaient « pas été confus » ; mais son cri douloureux ne reçut aucune réponse. Au soir de sa vie, David déclarait : « Je n’ai pas vu le juste abandonné » (Ps. 37:25). Mais le Seigneur, lui, dut s’écrier : « Ne te tiens pas loin de moi, car la détresse est proche, car il n’y a personne qui secoure » (Ps. 22:11). Dieu se tient « loin de son salut, des paroles de son rugissement » (v. 1). Quelle scène poignante ! Le seul juste qui ait jamais existé fut abandonné de Dieu, et cela au plus fort de la détresse.

 

Tu fus seul sur la croix, buvant la coupe amère,

Sans qu’un cœur vînt répondre à ton cri douloureux !

 

Par la bouche du Psalmiste, le Seigneur Jésus élève sa voix à plusieurs reprises pour demander à Dieu pourquoi il devait traverser un tel abandon. « Pourquoi m’as-tu abandonné ?... Pourquoi, ô Éternel ! te tiens-tu loin, te caches-tu aux temps de la détresse ?... Je dirai à Dieu, mon rocher : Pourquoi m’as-tu oublié ?... Car toi, ô Dieu ! tu es ma force ; pourquoi m’as-tu rejeté ?... Éternel ! pourquoi as-tu rejeté mon âme, et me caches-tu ta face ? » (Ps. 22:1 ; 10:1 ; 42:9 ; 43:2 ; 88:14).

Ne connaissait-il donc pas la cause de cet abandon ? Ce n’était point le motif de sa question, car il savait « toutes les choses qui devaient lui arriver » (Jean 18:4). Nous aussi, nous connaissons la réponse à ce pourquoi si émouvant, puisque la Parole nous éclaire à ce sujet. Son peuple terrestre, qui à l’ouïe de cette question, osa l’accabler de nouveaux sarcasmes, entendra la réponse de la bouche du résidu pieux : « Certainement, lui, a porté nos langueurs, et s’est chargé de nos douleurs... Il a été blessé pour nos transgressions, il a été meurtri pour nos iniquités. Le châtiment de notre paix a été sur lui, et par ses meurtrissures nous sommes guéris » (Ésaïe 53:4 et suiv.).

Nombreux sont ceux qui, au cours des âges, ont trouvé le salut de leur âme par la foi à ces déclarations de la Parole. C’est à la croix, en effet, que les justes exigences de Dieu ont été satisfaites. « Car ce qui était impossible à la loi, en ce qu’elle était faible par la chair », Dieu l’a accompli en « condamnant le péché dans la chair » dans la personne de son propre Fils (Rom. 8:3). Dieu soit loué ! « Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, étant devenu malédiction pour nous » (Gal. 3:13). Voilà ce qui fut accompli durant les dernières heures de la croix, où le « Dieu Sauveur » entra en jugement contre son Fils unique, notre Substitut.

Si le Seigneur avait souffert auparavant de la part des hommes, il souffrait maintenant de la part d’un Dieu juste et saint. S’il avait souffert jusqu’alors pour la justice, maintenant c’était à cause de nos péchés et de notre culpabilité. Durant les trois heures sombres de la croix, il fut en effet le parfait sacrifice pour le péché et pour le délit, « une chose très sainte » pour Dieu, un sacrifice pour le péché dont le sang fut porté jusque dans le lieu très saint et est placé dorénavant devant Dieu à jamais (Lév. 6:18 ; 7:1 ; 16:15 ; Héb. 13:11, 12). C’est alors que Dieu l’a chargé de nos péchés, lui « qui n’a pas commis de péché, et dans la bouche duquel, il n’a pas été trouvé de fraude » (1 Pierre 2:22, 24 ; Héb. 9:28). C’est alors qu’Il a « fait péché pour nous celui qui n’avait pas connu le péché, afin que nous devinssions justice de Dieu en lui » (2 Cor. 5:21). Dans son amour insondable, il a accepté, lui, le saint et le juste, d’être fait péché à notre place et de se charger de nos iniquités. Amour « fort comme la mort... ; ses ardeurs sont des ardeurs de feu, une flamme de Jah. Beaucoup d’eaux ne peuvent éteindre l’amour, et des fleuves ne le submergent pas » (Cant. 8:6, 7). Aussi proclamons-nous avec raison : « À celui qui nous aime, et qui nous a lavés de nos péchés dans son sang ; — et il nous a faits un royaume, des sacrificateurs pour son Dieu et Père ; — à lui la gloire et la force aux siècles des siècles ! Amen » (Apoc. 1:5, 6).

Il est descendu dans l’abîme où le péché avait plongé l’homme, il s’est placé sous le jugement qui devait être notre part éternelle. Il subit, à notre place, la mort, « salaire du péché ». C’est à la croix que nous discernons ce qu’est le péché aux yeux de Dieu. Mais le Seigneur, qui était parfaitement pur, l’a éprouvé d’une manière combien plus grande encore : « Un abîme appelle un autre abîme à la voix de tes cataractes ; toutes tes vagues et tes flots ont passé sur moi » (Ps. 42:7 ; Jonas 2:4). De même qu’il avait été saisi d’effroi lorsque le Père lui présenta la coupe de souffrance et de malédiction, son âme fut « rassasiée de maux » (Ps. 88:3) au moment où il dut la boire.

Considérant cette œuvre glorieuse de la rédemption par laquelle Dieu a été pleinement glorifié, nous pouvons bien redire :

« Voilà l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ! »

 

20               « C’est accompli »

(Matt. 27:47-50 ; Marc 15:35, 36 ; Luc 23:45, 46 ; Jean 19:28-30)

 

L’œuvre de la croix offre encore un autre aspect qui, de tout temps, a rempli d’admiration ceux qui l’ont médité. C’est ce qu’exprime le cantique que nous aimons à chanter :

 

Tu vins du ciel t’offrir en sacrifice,

Et par toi seul Dieu fut glorifié :

Sa sainteté, son amour, sa justice,

Ta croix, Jésus, a tout magnifié.

 

« Au sacrifice et à l’offrande de gâteau tu n’as pas pris plaisir : tu m’as creusé des oreilles ; tu n’as pas demandé d’holocauste ni de sacrifice pour le péché. Alors j’ai dit : Voici, je viens... C’est mes délices, ô mon Dieu, de faire ce qui est ton bon plaisir, et ta loi est au-dedans de mes entrailles » (Ps. 40:6-8). Telles sont les paroles que le Seigneur prononce par la bouche du Psalmiste. C’est dans cette disposition de cœur que le second Homme, venu du ciel, parut sur la scène où le premier homme, « tiré de la terre — poussière », s’était révélé incapable d’accomplir ne fût-ce qu’un seul commandement de Dieu. Animé du seul désir de faire « le bon plaisir » de Dieu, Christ « quoiqu’il fût Fils, a appris l’obéissance par les choses qu’il a souffertes » (Héb. 5:8). Nous le voyons, « comme les jours de son assomption s’accomplissaient dresser sa face résolument pour aller à Jérusalem », où « par l’Esprit éternel, il s’est offert lui-même à Dieu sans tache » (Luc 9,51 ; Héb. 9,14).

De même qu’il était, durant sa marche ici-bas, la vraie offrande de gâteau, puis, durant les heures ténébreuses de la croix, le parfait sacrifice pour le péché et pour le délit, il fut aussi le parfait holocauste, s’étant « livré lui-même pour nous, comme offrande et sacrifice à Dieu, en parfum de bonne odeur » (Éph. 5:2).

Dirigeons de nouveau nos regards vers Golgotha. C’est là que le Seigneur de gloire se livra entièrement ; là qu’il accomplit tout ce qui était nécessaire pour la gloire de Dieu et notre salut éternel ; là qu’il « dressa sa face comme un caillou », dans la conviction qu’il « ne serait pas confondu » (És. 50:7). Quel « sacrifice par feu, une odeur agréable à l’Éternel » ; quel holocauste unique et parfait ! (Lév. 1).

C’est surtout l’évangile de Jean qui présente le sacrifice de Christ comme l’holocauste. Nous comprenons sans peine qu’alors le regard du Père reposât sans cesse avec délice sur son Fils bien-aimé. C’est pourquoi cet évangile ne parle ni des heures de ténèbres ni de l’abandon du Seigneur Jésus. Nous l’entendons déclarer au contraire : « Je ne suis pas seul, car le Père est avec moi... Celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que moi, je fais toujours les choses qui lui plaisent » (Jean 16:32 ; 8:29).

« Après cela, Jésus sachant que toutes choses étaient déjà accomplies, dit, afin que l’écriture fût accomplie : J’ai soif » (Jean 19:28). « Ceux qui se tenaient là », ignorant tout sentiment de compassion, lui offrent, pour apaiser sa soif ardente, le breuvage qu’on avait coutume de faire boire aux malfaiteurs crucifiés. Il n’est pas douteux que le cri du Seigneur « J’ai soif » doive être interprété d’abord dans son sens littéral. Mais — et combien cela est digne de remarque — il ne le prononça que lorsqu’il sut « que toutes choses étaient déjà accomplies ».

Toutefois, s’il éprouvait les affres de la soif, combien plus ardente était la soif de son âme ! Avec quelle sainte hâte, en effet, contemplait-il « la joie qui était devant lui » (Héb. 12:2) ! Ayant « livré son âme en sacrifice pour le péché », il désirait ardemment voir « du fruit du travail de son âme » et s’en rassasier (És. 53:10, 11). Ainsi, à l’instant suprême, son amour dirigeait ses pensées vers ceux pour lesquels il donnait sa vie.

Mais il nous faut, une fois de plus, détourner nos regards de ce que le Seigneur a enduré pour nous et considérer son dévouement envers Dieu. En effet, ayant bu entièrement la coupe amère, quelle « soif » étreignait son cœur de « passer de ce monde au Père » (Jean 13:1) ! « Moi, je t’ai glorifié sur la terre... : et maintenant glorifie-moi, toi, Père, auprès de toi-même, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût » (Jean 17:4, 5). Tel était le vœu ardent que le Seigneur, anticipant l’heure de la croix, avait adressé à son Père. Et, se tournant vers les siens, il souhaitait qu’ils partagent ses propres sentiments : « Si vous m’aviez aimé, vous vous seriez réjouis de ce que je m’en vais au Père » (Jean 14:28). Qui d’entre nous ne pourrait compatir quelque peu à cette « soif » de notre Seigneur ? « Ô Dieu ! tu es mon Dieu ; ... mon âme a soif de toi, ma chair languit après toi, dans une terre aride et altérée, sans eau, pour voir ta force et ta gloire, comme je t’ai contemplé dans le lieu saint » (Ps. 63:1, 2). « Comme le cerf brame après les courants d’eau, ainsi mon âme crie après toi, ô Dieu ! Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant. Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant Dieu ? » (Ps. 42:1, 2). Certes l’éponge remplie de vinaigre et mise au bout d’un roseau, sur de l’hysope (Matt. 27:48 ; Jean 19:29), ne pouvait apaiser cette soif-là, mais la rendait au contraire plus ardente encore.

Mais ne pensons pas avoir atteint ainsi les ultimes profondeurs de cette cinquième parole du Crucifié, la plus brève de toutes. C’est, de nouveau, l’évangile de Jean qui la rapporte, celui où nous voyons le Seigneur dominer souverainement la souffrance et la mort, et manifester une gloire « comme d’un Fils unique de la part du Père », une gloire qui brille de tout son éclat en dépit des sombres nuages de la haine et de la méchanceté de l’homme déchu. C’était la gloire de Celui qui avait dit : « Moi, j’ai de la viande à manger que vous, vous ne connaissez pas... Ma viande est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé, et d’accomplir son œuvre » (Jean 4:32 et 34). C’est pourquoi le Seigneur, sachant que toutes choses étaient déjà accomplies, prononça cette parole « afin que l’écriture fût accomplie ». Au moment où il achève l’œuvre que le Père lui a donnée à faire, il jette pour ainsi dire un regard en arrière et constate que la prophétie devait être encore accomplie sur un point. En effet, pas un iota ni un trait de lettre de l’Écriture ne pouvait tomber en terre (Matt. 5:18). « Ils ont mis du fiel dans ma nourriture » — cela avait eu lieu juste avant la crucifixion ; mais il manquait encore ceci : « ... et dans ma soif, ils m’ont abreuvé de vinaigre » (Ps. 69:21 ; Matt. 27:34).

« Quand donc Jésus eut pris le vinaigre, il dit : C’est accompli. Et ayant baissé la tête, il remit son esprit » (Jean 19:30). Maintenant tout était terminé. Elle était achevée, « l’œuvre que le Père lui avait donnée à faire » (Jean 17:24). Qu’est-ce qui pouvait retenir encore le céleste Étranger sur cette terre ? Toutefois, avant de « remettre son esprit », il proclame, à la face du monde, que son œuvre est achevée. Proclamation sublime par les résultats grandioses qu’elle implique ! « C’est accompli ! » La volonté de Dieu, ses conseils éternels de grâce et de justice avaient été pleinement exécutés. L’œuvre par laquelle Dieu devait être glorifié et le pécheur, racheté, avait été conduite à son terme béni.

Pour la première fois depuis la création, Dieu pouvait déclarer que « tout était très bon », que l’œuvre était parfaite. À peine avait-il placé l’homme dans le jardin d’Éden, que celui-ci avait agi et tout gâté par sa désobéissance. Puis Dieu avait donné la loi. N’était-elle donc pas « sainte, juste et bonne » (Rom. 7:12) ? Certes ! Mais, sous la loi comme auparavant, l’homme, mis à l’épreuve, montra sa totale incapacité d’accomplir la volonté de Dieu. Aussi la loi n’a-t-elle « rien amené à la perfection » et les « dons et les sacrifices » qu’elle prescrivait ne pouvaient rendre parfaits quant à la conscience ceux qui les offraient (Rom. 5:20 ; Gal. 3:24 ; Héb. 7:19 ; 9:9). Aujourd’hui encore, l’homme naturel aime à pratiquer une religion fondée sur les mêmes principes : tous ses efforts tendent à établir sa justice par ses œuvres et à se sauver lui-même. Mais ces œuvres charnelles sont parfaitement vaines et d’autant plus inacceptables que l’homme pécheur s’imagine pouvoir, par elles, s’approcher d’un Dieu juste et saint.

Les ordonnances lévitiques n’apportaient donc ni pardon ni paix à celui qui s’approchait de Dieu. « Tout sacrificateur se tenait debout chaque jour, faisant le service et offrant souvent les mêmes sacrifices qui ne pouvaient jamais ôter les péchés ». Quel contraste avec ce qui suit : « Mais celui-ci (Christ), ayant offert un seul sacrifice pour les péchés, s’est assis à perpétuité à la droite de Dieu... Car, par une seule offrande, il a rendu parfaits à perpétuité ceux qui sont sanctifiés » (Héb. 10:11-14).

Quand nous regardons à nous-mêmes, nous soupirons souvent après une réelle perfection. C’est en vain que nous la chercherons en nous ou autour de nous. Elle ne se trouve qu’à la croix de Golgotha. Là, Christ a accompli une œuvre parfaite et qui rend parfait ; une œuvre « faite une fois pour toutes » (Héb. 10:10), de sorte qu’elle n’a pas besoin d’être répétée ; une œuvre à laquelle on ne peut ni ne doit rien ajouter ; une œuvre que le Seigneur lui-même déclare « accomplie ».

« C’est accompli ! » Comme un cri de triomphe, ces mots ont retenti dans le silence du Calvaire, où venait de se livrer le combat le plus terrible qu’aient jamais enregistré les annales du ciel et de la terre. Dieu qui, jusque-là, avait gardé le silence, rendit, lui aussi, témoignage à la perfection de cette œuvre, en déchirant le voile du temple — ouvrant ainsi l’accès jusqu’en sa sainte présence — en délivrant du tombeau plusieurs des saints endormis et en faisant jaillir le sang et l’eau du côté percé de Jésus (Matt. 27:51-53 ; Jean 19:31 et suiv.).

 

« C’est accompli ». L’œuvre de grâce est faite.

De la victoire enfin monte le cri.

Celui qui meurt ayant baissé la tête

A triomphé. C’est accompli.

 

Du haut en bas Dieu déchire lui-même

Le voile saint. Le chemin établi,

Nouveau, vivant, jusqu’au séjour suprême

Nous est ouvert. C’est accompli.

 

« Et Jésus, criant à haute voix, dit : Père ! entre tes mains je remets mon esprit. Et ayant dit cela, il expira » (Luc 23:46). Ce n’est pas de la crucifixion que le Seigneur est mort. Non, il expira « avec un grand cri » : avant lui, comme après lui, aucun crucifié n’est mort de cette manière. Pilate « s’étonna, ayant peine à croire qu’il fût déjà mort » (Marc 15:44). Nous recevons, de la bouche du centurion, un témoignage irrécusable de cette mort étrange. Il « était là vis-à-vis de lui » et avait observé sur sa face sainte toutes les marques de la souffrance, toute la douleur de cette agonie. Bouleversé par une telle mort, ce légionnaire païen s’écrie : « Certainement cet homme était Fils de Dieu » (Marc 15:39). Il n’était pas le dernier que cette mort remplirait d’admiration.

Combien est saisissante cette ultime révélation du « grand mystère de la piété » : « Dieu manifesté en chair » jusqu’au terme de sa vie ! (1 Tim. 3:16). Dieu et homme à la fois ! En vérité, cette scène nous révèle, et l’abaissement profond et la suprême grandeur de Celui qui était là, « pendu au bois ». S’il « laissa sa vie pour ses brebis », « personne ne la lui ôta ». « Je la laisse de moi-même », avait-il dit. « J’ai le pouvoir de la laisser et j’ai le pouvoir de la reprendre ; j’ai reçu ce commandement de mon Père » (Jean 10:15, 18). La tête haute, il avait accompli l’œuvre jusqu’à son achèvement. Alors seulement, il « baissa la tête et remit (*) son esprit » (Jean 19:30). Ce faisant, il a été « obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix » (Phil. 2:8).

 

(*) C’est-à-dire par un acte de sa volonté. Le verbe grec, traduit ici par « remettre », n’est pas celui qu’on trouve en Luc 23:46, mais bien en Éph. 5:2 (où il est traduit par « livrer »). Il n’est employé nulle part ailleurs à propos de la mort d’un homme, de sorte que l’usage qu’en fait Jean 19:30 dans ce sens est absolument unique dans l’Écriture.

 

C’est ainsi que le Seigneur fut « ôté de l’angoisse et du jugement » (És. 53:8). Il quitta cette terre, « prémices de ceux qui sont endormis » (1 Cor. 15:20), pour entrer dans un autre monde, dans une vie où ne se pose plus la grande question du péché. « Car en ce qu’il est mort, il est mort une fois pour toutes au péché ; mais en ce qu’il vit, il vit à Dieu » (Rom. 6:10). « La mort qu’il devait accomplir à Jérusalem » était achevée. Il en avait fini pour toujours avec cette vie de souffrance où, pour nous amener à Dieu, il avait été « l’Homme de douleurs ».

 

L’homme perdu, du fond de sa misère,

Voit le péché par Jésus aboli.

Pour en payer le terrible salaire,

Il a souffert. C’est accompli.

 

Des nouveaux cieux à la nouvelle terre

Tout chantera bientôt, d’amour rempli.

Louange à Dieu, gloire au Fils, gloire au Père !

À jamais tout est accompli.